mardi 27 décembre 2011

Voeux et conseils d'administration.

En cette périodes de voeux je voudrais à mon tour émettre des voeux … pour les conseils d'administration des banques propriété (en tout ou en partie) de l'état (Dexia, Fortis). Ce sont des voeux mais j'ai comme l'impression qu'ils ne se réaliseront pas...

Un nouveau conseil d'administration de Dexia Bank Belgium (le nom doit changer bientôt…) est en gestation et chacun y va de sa suggestion et de son pronostique sur le nom des administrateurs (par exemple [1] et [2]). Contrairement aux autres je ne ferai pas de suggestion de noms mais des suggestions de compétences.

Le rôle d'un conseil d'administration est de décidé d'un stratégie globale pour une institution et de contrôler le comité de direction dans son exécution. Les compétences requises pour comprendre une banque en profondeur sont nombreuses et chaque membre du conseil d'administration ne peut les avoir toutes. Au minimum on peut espérer que dans son ensemble le conseil couvre la plupart de ces aspects.

Certaines des compétences requises couvrent (sans ordre particulier):
  1. Banque de détail
  2. Banque d'entreprise et des autorités locales
  3. Gestion des risques (marché, crédit)
  4. Modèles de prédictions économiques.
  5. Droit
  6. Comptabilité
  7. Informatique
  8. Gestion des avoirs et passifs: Asset management et ALM.
  9. Salle des marchés: trading et analyse quantitative
  10. Modèles utilisés pour la gestion des risques et la valorisation des produits dérivés
  11. Publication d'articles dans des revues de recherche internationales (Journal of Finance, Econometrica, Journal of Fixed Income, …)
Ces compétences ne doivent pas simplement venir d'un titre ou d'un cours suivit mais d'un réel travail en profondeur. Certains auteurs affirment que pour être un expert dans une branche (sport, musique, science, ou … business), il faut 10 ans et 10.000 heures de travail assidu [3] dans le domaine particulier.

Ces compétences se recouvrent. Comprendre la banque de détail veut aussi dire comprendre l'informatique à mettre en oeuvre pour un accès aisé des clients aux services de la banque et veut dire comprendre les modèles de produits dérivés suffisamment pour comprendre les produits structurés.

Les produits structurés ont été décriés ces dernières année et un mouvement de "back-to-basic" est suggéré pour les clients individuels. Cela ne veut pas dire que les compétences de modélisation des produits dérivés et de gestion des risques disparaissent. Il existe énormément d'options incorporée dans les produits courants. Par exemple les crédits hypothécaires ont des options de remboursement anticipés. En terme technique c'est une option hybride Bermuda (l'option peut être exercée une fois mais à une date au choix) qui mêle un risque de marché (taux d'intérêt) et risque de crédit (non remboursement par l'emprunteur). Les crédits hypothécaires sont techniquement bien plus compliqués que la plupart des produits structurés. Les fonds avec garantie de capital ou cliquet sont aussi des produits optionnels. Pour comprendre ce qui peut être proposé aux clients individuels et aux collectivités, il faut comprendre ces aspects et leur impact sur l'informatique, la gestion ALM et la gestion des risques.

J'ai regardé les listes des noms proposés ci et là. J'y vois beaucoup de profils similaires (économie, MBA ou droit, certain avec un doctorat, ayant travaillé dans des domaines ou des institutions proches de la banque) mais il me semble que beaucoup des domaines mentionnés ci-dessus n'apparaissent  dans aucun CV (je ne suis pas le chasseur de tête en charge du recrutement et je n'ai donc pas reçu leur CV détaillé). Les compétences qui n'apparaissent jamais sont: 3, 7, 9 et 10.

C'est bien dommage, car il semble qu'un partie de la raison de la débâcle de Dexia, du Holding Communal et de Fortis est que personne dans les conseils d'administration n'a questionné la gestion des risques, personne n'a demandé comment les produits complexes étaient valorisés (MBS de Fortis, portefeuilles de Dexia et du Holding), personne n'a demandé si les produits étaient adaptés aux clients (procès en France contre Dexia) et personne n'a demandé si la mise en place informatique des valorisations et risques était suffisante (voir rapport des régulateurs français pour Dexia).

Les noms qui ont été cités sont des "noms connus" (c'est pourquoi on les cite). Peut-être faudrait-il inclure des "personnes compétentes" même si elles sont moins connues. Il y a certainement en Belgique de ces personnes compétentes, des académiques qui ont travaillé dans des institutions financières ou des consultants qui font de la recherche, comme je le mentionnais dans mon blog sur les régulateurs, et je pense toujours que c'est le cas. Je ne propose pas un conseil d'administration de technocrates, mais un conseil d'administrations comprenant quelques experts.

J'espère que la responsabilité de membre d'un conseil d'administration sera prise sérieusement. Si la prédiction de Stéphane Wuille dans son blog [2]: "Il faut dire que le job ne devrait pas être particulièrement éreintant." devait s'avérée exacte, l'état risque de se retrouver à la case départ avec une autre débâcle.

Après le compétences que je voudrais voir, il y a les phrases que je ne voudrais plus voir (ou entendre) (je laisse le lecteur relier chaque phrase à une personne ou un évènement récent):
- "Il y avait des bénéfices plantureux mais jamais on ne nous a expliqué les risques."
- "Je considère qu’on nous a menti."
- "Le CA estime que le holding disposera des liquidités nécessaires" et ce quelques mois avant la liquidation.
- "XXX n'était pas une banque mais un hedge fund."

Mes meilleurs voeux à tous!

[1] Chaises musicales autour du conseil de DBB: http://www.lecho.be/nieuws/archief/Chaises_musicales_autour_du_conseil_de_DBB.9138584-1802.art
[2] Les strapontins de Dexia banque: blogs.lecho.be/lescracks/2011/12/les-strapontins-de-dexia-banque.html
[3] M. Syed, Bounce: The Myth of Talent and the Power of Practice. http://www.amazon.co.uk/Bounce-Myth-Talent-Power-Practice/dp/0007350546/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1324976991&sr=1-1

L'envol...

samedi 24 décembre 2011

Indexation des salaires

La question de l'indexation des salaires en Belgique provoque bien des débats. Certains soutenant qu'elle nuit à la compétitivité belge et d'autres qu'elle est partie intégrante de paysage belge et que sa disparition causerait plus de troubles que de bénéfices.

La première remarque à faire est que la spécificité belge n'est pas l'indexation des salaires proprement dite mais son indexation automatique et réglementée. Partout les salaires augmentent plus ou moins avec l'inflation, les grandes questions sont: "Quand?" et "Comment?"

Pour le "Quand?", les salaires sont-ils augmentés avant (une protection), avec (une indexation automatique) ou après (un rattrapage) l'inflation. Pour la Belgique, la réponse aujourd'hui est simple et nous était déjà donnée par le grand Jacques: "avec". Pour le reste du monde (qui n'utilise pas l'indexation automatique), la réponse est plus vague et est: "Cela dépend"! Ce qui est certain c'est qu'il y a une augmentation globale des salaires avec l'inflation. C'est presque la définition de l'inflation; l'inflation c'est le changement de cout nominal d'un panier fixe de biens. Une personne qui offre une quantité constante de biens ou services à la société recevra en échange une quantité constante de biens ou services, c'est-à-dire un revenu indexé. Il n'y a pas de doute que l'indexation a lieu.

Pour le "Comment?", les salaires sont-ils changés après des négociations individuelles,  des négociations collectives ou lors du changement d'employeur (ou toute combinaison des trois)?

Les employés (ou indépendants) qui ont la chance d'avoir des connaissances et des compétences qui intéressent les employeurs et qui ne semblent pas devenir obsolètes, peuvent, jusqu'à un certain point, décider de leur salaire. Pour eux, la réponse au "Quand?" est sans doute "avant" et le "Comment?" est par négociation individuelle. Le salaire reflète le coût de la vie aujourd'hui et l'augmentation prévue jusqu'à la prochaine discussion sérieuse de salaire (disons deux ans). Personne ne veux rentrer dans un cercle de discussions permanentes, une pour chaque saison. Pour ce type d'employés, la non-indexation automatique a comme effet un payement de l'inflation par l'employeur avant qu'elle n'ait lieu et une nouvelle négociation individuelle du salaire après quelques années.

Pour la plupart des employés, si l'indexation automatique disparaissait, les "rattrapages" se feraient par des discussions collectives annuel ou bi-annuel. L'effet général ne serait pas très différent de l'indexation automatique que nous connaissons, les discussions en plus.

Ce que l'absence d'indexation automatique des salaires permet, c'est une flexibilité (en termes réels, pas nominaux) des salaires. Si une activité ou une profession est moins productive pour la société, en n'indexant pas les salaires dans ce domaine, on incite les employés à changer de domaine. L'absence d'indexation automatique des salaires peut être vue comme similaire aux bonus distribués pour certaines fonctions. Le bonus n'est pas un salaire supplémentaire (je ne parle pas ici des abus et fraudes que nous avons connus récemment), c'est un salaire faisant partie intégrante de la compensation mais qui peut être retiré, par exemple en cas de mauvaise conjecture ou si l'activité en question est moins intéressante. La centre de la question sur l'indexation me semble être, faut-il imposer à tous et chaque année une négociation dont le résultat général est connu à l'avance à peu de chose près (augmentation en ligne avec l'inflation) pour résoudre les déséquilibres qui existent pour une minorité de domaines peu fréquemment? Le plus simple n'est-il pas d'avoir une indexation automatique pour tous et la possibilité quand la situation le nécessite d'avoir une négociation pour certains travailleurs à certains moments?

En tant qu'employé et gestionnaire, mon choix est assez vite fait; je suis pour une indexation automatique, tout en introduisant plus de flexibilité et certains changements. Cette indexation ne devrait pas concerner l'entièreté du salaire, mais jusqu'à un plafond (lui-même indexé). Le salaire au-delà d'un certain niveau correspond à des compétences pointues et spécifiques et celui-ci doit de toute façon être revu régulièrement (à la baisse ou à la hausse).

Un effet souvent décrié de l'indexation automatique est de créer un "effet boule de neige"; l'inflation augmente les salaires qui augmentent l'inflation. Il y a un peu de vrai dans cette affirmation mais beaucoup de sous-entendus incorrects. L'effet boule de neige est infini dans le temps mais pas dans les valeurs. Le facteur multiplicatif de l'index entraine que les prix forment une série géométrique, donc finie (même si l'effet total n'apparait qu'après un temps infini). Prenons l'exemple d'un objet dont le cout relatif est 50% en matières premières et 50% en salaire. Si les matières premières augmentent de 20%, le cout relatif de l'objet passe de 1 à 1,1 (10% d'inflation). Après une certaine période, l'inflation est reportée sur le salaire qui augmente de 10% et le coût passe à 1.15. L'effet continue et après deux périodes le coût est de 1.175 et il continue d'augmenter. Après un temps infini (si on vit jusque là), le coût de l'objet atteint 1.20 avec 0.60 (50%) en matière première et 0.60 (50%) en salaire, exactement comme au début! Est-ce là l'effet "dévastateur" que les détracteurs du système mettent en avant: après un temps infini, les couts relatifs des matières premières et des salaires sont les mêmes qu'au début et l'augmentation du prix des matières premières est incorporée dans les biens. Cela ressemble plus à de la neige fondante qu'à une avalanche!

Les salaires à Bruxelles ne sont en général pas plus élevés qu'a Luxembourg, Paris, Londres ou Frankfort, les capitales économiques autour de Bruxelles [1]. Il ne semble pas que l'indexation  automatique des salaires ait crée une augmentation générale et incontrôlée des salaires belges. Si "Les salaires des travailleurs belges ont à nouveau augmenté davantage que dans les pays voisins" (comme on peut le lire régulièrement), c'est peut-être simplement parce qu'ils sont plus bas.

Les journaux ont rapporté que les organisations patronales et la Banque nationale de Belgique (BNB) considéraient l'indexation automatique des salaires comme un "aberration". Je n'ai trouvé sur le site de la BNB (www.nbb.be) aucun document avec une analyse de cette approche, ni une description de cette "aberration" (peut-être un tel document existe et est caché quelque part). Si une discussion devait avoir lieu, il serait intéressant d'avoir de tels documents. Il ne suffit pas de regarder les choses à court terme ou à travers des slogans; il faut une analyse à long terme et les effets indirects doivent aussi être pris en compte. L'analyse des équilibres possibles ne suffit pas, la dynamique à partir de la situation actuelle doit aussi être étudiée. Ce blog ne prétend en aucun cas contenir de telles analyses; il présente quelques idées pour la réflexion.

Ajouté le 29 décembre 2011: On peut aussi remarquer que les fonctionnaires européens et ceux de la Banque des Règlements Internationaux (banque des banques centrales - BRI) bénéficient de l'indexation automatique des salaires. De plus dans le cas de la BRI les salaires sont ajustés tous les trois ans pour être en ligne avec la "moitié supérieure" des salaires de fonctions comparables [2]. Comme tout le monde ne peut être dans la moitié supérieure, cette méthode créerait un vrai effet boule de neige si elle était appliquée par tous. La BNB étant un actionnaire historique de la BRI, libre à elle de proposer la non-indexation automatique des salaires pour les fonctionnaires de la BRI et de nous rapporter les résultats de l'expérience dans quelques années.

En résumé, ma proposition serait: indexation automatique des salaires et plus de flexibilité par négociations.

J'ai lus quelques articles qui vont au-delà de l'effet immédiats, mais pas assez. J'en indique un, parut dans l'Echo même si je ne suis pas d'accord avec son contenu: http://www.lecho.be/debats/carte_blanche/Augmenter_les_salaires.9039801-2339.art. J'ajouterai d'autres liens si j'en trouve.

Les débats de société sont bons pour la société: débattons!

[1]  Source UBS, salaires net: Luxembourg 107.8 / Londres 84.7 / Frankfort 82.5 / Bruxelles 82.1 / Paris 75.1
Disponible à: http://www.ubs.com/global/en/wealth_management/wealth_management_research/prices_earnings.html

[2] Source: 81st Annual Report of the BIS, Bank remuneration policy, p.138.

Les Iris



Pas ceux de van Gogh, il y a eu trop d'inflation depuis qu'il les a peints pour que je puisse vous les offrir. Le tableau est visible sur: http://www.getty.edu/art/gettyguide/artObjectDetails?artobj=947

samedi 17 décembre 2011

Bannissement et régulateurs.

Il y a quelques jours, la Financial Security Agency (FSA) a publié son rapport sur la chute de Royal Bank of Scotland (RBS). Le rapport est assez épais (500 pages). Initialement (en décembre 2010) la FSA avait publié un petit communiqué (298 mots!) disant qu'il n'y aurait pas de poursuites civiles ou régulatrices associées à la chute de RBS et pas de rapport. Après une indignation du public et de politiques un rapport concernant non seulement la chute de RBS elle-même mais aussi de sa supervision par la FSA a été décidé.

Avant de discuter certaines propositions du rapport et une proposition personnelle, je voudrais suggérer que le même type de rapport soit produit en Belgique. Sur Fortis  on possède un rapport d'experts indépendants mais pas d'analyse du travail des régulateurs (CBFA) et de la banque centrale (BNB). Concernant Dexia, il y a une commission en cours, mais je ne suis pas certain qu'un rapport exhaustif soit prévu. Mrs et Mmes les politiques et régulateurs, puis-je suggérer que de tels rapports soient publiés en Belgique aussi? Ces documents seraient d'importants outils pour comprendre le passé et une fondation pour construire la confiance nécessaire pour le future.

Parmi les recommandations de la FSA, certaines concernent les membres des comités de direction des banques faillies. Le rapport suggère que la loi devrait être changée pour qu'ils soient bannis automatiquement, paient des amendes et doivent rembourser leur salaire. Je suis contre les deux dernières proposition, sauf en cas de fraude. Par contre, comme j'en ai parlé dans des blogs précédents (Hedge fund communal!, Econome avec la vérité!, Di Rupo au conseil d'administration de Dexia), je suis en faveur du bannissement. Il ne devrait pas s'appliquer uniquement aux directeurs mais aussi aux administrateurs. Dans le cas de Dexia, il y a eu des politiques dans le conseil d'administration.  Les noms sont bien connus (Di Rupo, Kubla, De Haene, Vermeiren, …), je n'ai entendu aucun d'eux dire "je n'ai pas rempli mon rôle d'administrateur". Dans les témoignages à la commission, je n'ai pas entendu une seule fois quelqu'un dire que le conseil d'administration avait posé les bonnes questions mais on leur avait refusé les réponses; je n'ai entendu aucun des membres dire qu'il avait contacté les régulateurs. Ces membres des conseils d'administration ont failli à leurs responsabilités envers les actionnaires et envers de la société en général qu'ils étaient sensés représenter. L'activité de membre d'un conseil d'administration d'une institution financière devrait leur être interdite. Si les membres du conseil d'administration d'une banque sont relativement biens payés pour un travail assez court, c'est qu'on leur demande beaucoup de connaissances financières, une grande expérience et un travail d'analyse (peut-être aidé par une équipe) en dehors des réunions. Aucunes des ces trois caractéristiques ne semble avoir été l'apanage des membres du conseil d'administration. Pour les manques à leurs devoirs, je suis pour leur bannissement de toute activité à responsabilité dans la finance (pour une durée à déterminer). Cela devrait inclure non seulement les banques mais aussi les institutions financières en général, les holdings (le Holding Communal en particulier) et les responsabilités publiques liées à la finance (échevin ou ministre des finances ou du budget).

Une autre partie des recommandations concerne les régulateurs eux-mêmes. Les régulateurs admettent que les règles en vigueur à l'époque n'étaient pas adéquates. Il se référent entre autres aux accords de Bâle sur le capital, le cadre pour les risques de marché et à l'absence d'analyse des effets de levier. Le rapport indique aussi que les ressources des régulateurs étaient limitées. Il n'y avait pas une analyse en profondeur des méthodes utilisées par les banques pour calculer les chiffres utilisés pour satisfaire les règles. Les régulateurs ne contestaient pas l'approche des affaires et leurs risques inhérents. Cela veut dire que les conséquences des stratégies pour différent scénarios possibles n'étaient pas analysées. Il en allait sans doute de même en Belgique puisque les régulateurs et la Banque nationale ne se sont pas demandé ce qu'il se passerait pour Fortis avec le rachat d'ABN ou pour Dexia avec son portefeuille obligataire de plus de 200 milliards.

Dans les conclusions liées à ces analyses, la FSA indique que les règles ont été améliorées ces dernières années et que la FSA est maintenant "une structure différente". Le régulateur a plus de ressources et des employés avec de meilleures connaissances. Je n'ai pas de doutes que ces affirmations soient vraies. Mais cela est-il suffisant? L'approche proposée est une version améliorée de la même philosophie de la régulation. Une approche qui ressemble à l'approche utilisée dans beaucoup de banques pour la gestion des risques; une approche qui privilégie la forme sur le fond. Si les règles sont formellement respectées, on ne regarde pas plus en profondeur.

Par exemple les règles sur les capitaux sont toujours basées sur des chiffres comptables, non pas sur des réalités économiques (ce qui serait plus difficile à définir). Le "Tier 1 ratio" utilise une valeur comptable comme numérateur. Et on sait que les différentes banque belges qui ont eu des problèmes (Fortis, Dexia, KBC) ont toutes des ratios élevés. Même Dexia avait un Tier 1 ratio bien au-dessus des minimums réglementaires la veille de son démantèlement. Les règles sur le risque de crédit Bâle III utilisent les "corrélations" comme pierre angulaire. Ce type d'approche a créé de nombreux problème dans la gestion des CDO et d'instruments similaires. Les régulateurs augmentent simplement les corrélations pour augmenter le coussin de protection; ce qui fonctionne pour une institution qui a seulement des actifs, mais pour une institution qui a des actifs et des passifs avec les même contreparties, le résultat est incertain. On met les mauvais chiffres dans les mauvais outils et on espère obtenir les bons résultats! Les règles sont peut-être meilleures qu'avant, mais pas une garantie. Les régulateurs sont peut-être plus nombreux et meilleurs qu'avant mais il ne suffit pas d'être meilleur que ceux qui ont échoué pour réussir, il faut être meilleur que les obstacles. Je n'ai pas vu d'annonces de recrutement des régulateurs qui cherchaient des "docteurs en sciences ou finance avec plus de 10 ans d'expérience dans la finance". Pourtant ce sont les profils régulièrement demandés par les banques et les hedge-funds.

Je voudrais proposer une approche différente aux régulateurs. Je propose d'utiliser moins de règles et plus de jugement. Les régulateurs devraient avoir la possibilité d'avoir des jugements sur la situation d'une banque qui va au-delà des règles établies. On peut très bien calculer un Tier 1 ratio et avoir un régulateur qui dit que le capital sur lequel ce chiffre est calculé est trop incertain pour servir de base solide. Par exemple Dexia avait pratiquement 15 milliard en réserve AFS (Available For Sale)  à un moment; c'est-à-dire qu'il y avait 15 milliards de différence entre les chiffres comptables et la valeur de marché pour une partie du bilan, 15 milliards d'incertitude. Néanmoins ces 15 milliards étaient comptabilisés comme si c'était de l'or en barre. Pour certains avoirs des valorisations "hautes" (ce qui veut souvent dire irréalistes) on été utilisées à travers la crise; qu'on utilise ces chiffres pour les comptes officiels et les taxes ne me pose pas de problème, mais le régulateur doit avoir la possibilité de dire "il y a une incertitude sur ces chiffres, que ce passe-t-il si on prend des valorisations basses"? Bien sur cela veut dire des régulateurs aussi compétents que les banques elles-mêmes. A-t-on ces compétences en Belgique? Je veux croire que oui. Nous avons des universités de bonnes qualités avec des chercheurs reconnus internationalement. Peut-être les régulateurs pourraient employer certains professeurs à temps partiel comme consultants (on pourrait ainsi augmenter le nombre de professeurs d'université sans augmenter la charge salariale totale, une partie du salaire étant payée par le régulateur). Il y a certainement des employés d'institutions financières avec des compétences techniques qui seraient intéressés de travailler pour les régulateurs. Pour accommoder ce genre d'expert dans une structure publique il faudrait probablement changer quelques règles et mentalités. Il faut accepter que des experts soient plus importants (et mieux payés) que certains responsables d'équipes, que dans une équipe le numéro 10 est parfois plus important que le coach et le président du club.

L'approche que je propose est peut-être nouvelle et peut paraître audacieuse, mais il est possible de la mettre en oeuvre sans trop de risques. Pourquoi ne pas commencer pas une petite équipe d'experts et essayer une régulation plus pro-active? Pourquoi ne pas aller au-delà des "pratiques dominantes" (c'est le terme utilisé dans le rapport de la FSA pour justifier leur comportement) et faire preuve d'inventivité. Des régulateurs avec le bagage technique et l'expérience suffisante pourraient donner une opinion au-delà des règles. Si on garde les règles existantes (ou des améliorations de celles-ci) comme exigences minimales, les risques supplémentaires sont nuls et les gains potentiels importants. En finance un gain potentiel sans perte possible est appelé un "arbitrage"; la théorie économique dominante prétend que ces arbitrages n'existent pas, car s'ils existaient quelqu'un en aurait déjà profité avant vous et les aurait fait disparaître. Je propose d'être les premiers à en profiter!

samedi 10 décembre 2011

Hedge fund communal!

Il y a quelques jours le Holding Communal a décidé d'une liquidation volontaire. J'ai toujours eu des doutes sur cette structure et suite a cette liquidation, je me suis décidé à avoir une vue plus informée. Un bon moyen d'avoir plus d'informations est de lire le rapport annuel. Ce genre de document n'est pas toujours très précis et permet de cacher beaucoup de choses mais peut être utile.

Je dois dire que la lecture de ce document m'a surpris. Je ne pensais pas y trouver autant d'indications claires d'un dysfonctionnement profond. Quand j'utilise les termes "dysfonctionnement" ou "erreur", je ne parle pas en termes juridiques ou comptables mais en terme de gestion financière d'une structure disposant de connaissances financières élémentaires; je laisse les appréciations juridiques aux tribunaux. Tous les chiffres concernant le holding que je mentionne proviennent du rapport annuel; je n'ai en rien réécrit l'histoire a posteriori. Les termes en italique sont repris du rapport (et donc les termes du CA).

Le holding communal doit être considéré comme une structure financière, un peu comme un fond commun de placement. La quasi totalité de ses avoirs sont des avoirs financiers, en majorité cotés sur des marchés ouverts. Il n'y a pas d'activité industrielle ou de service; il n'y a pas de valeur de la marque, de savoir faire particulier ou de clients fidèles. L'évaluation de la valeur du holding devrait être simple, c'est la somme des valeurs de marché des composants. La participation principale est Dexia (Dexia SA, et pas Dexia Bank Belgium). La valeur de marché de cette participation était de EUR 669 millions (m). Dans les comptes elle est rapportée à EUR 2.113 m. C'est-à-dire une surévaluation de EUR 1.444m. Les capitaux propres étant de EUR 1.221m, la valeur intrinsèque du fond était négative. N'importe quel hedge fund dans cette situation aurait été liquidé avant la fin de l'année. La structure financière du Holding Communal, gérée par les politiques, semble bien moins régulée que les hedge funds que certains politiques accusent de manque de régulation!

La valeur utilisée dans les comptes est une valeur historique ou valeur d'acquisition. C'est-à-dire que pour estimé la valeur d'une participation détenue à long terme du holding le conseil d'administration (CA) préfère regarder dans le passé (combien cela a-t-il couté il y a quelques années) plutôt que l'estimation du future (valeur de marché). La justification de cette utilisation est en référence à la valeur comptable de l'action Dexia hors réserve AFS. Les réserves AFS (Available For Sale) sont les moins-values latentes de Dexia non reconnues dans ses comptes comme des pertes. En clair le holding communal justifie de ne pas rapporter ses pertes par le fait que sa principale participation ne le fait pas! Quand on sait que Dexia lui-même avait déjà utilisé une "reclassification" de 98 milliards d'actifs pour ne pas devoir indiquer la réserve AFS sur ces actifs, on voit le niveau d'absence de transparence. Une économie de vérité supplémentaire, comme d'autres que je décrivais dans une blog précédent.

Malgré cette économie de vérité, le holding a du rapporter une perte: un résultat courant de EUR -17.5 m. Néanmoins en utilisant des "bénéfices reportés", le holding a payé un dividende de EUR 17.5m! Oui, une structure financière qui a une valeur négative de EUR 200m paye un dividende de EUR 17.5m. L'utilisation du lissage des résultats (par l'utilisation de bénéfices reportés) me rappelle un peu Fannie Mae et Freddie Mac, les deux géants des prêts hypothécaires américains en faillite qui ont été condamnés pour fraude en rapport à leur habitude de lisser leurs résultats (voir par example cet article).

A part regarder sa participation dans Dexia, que fait le holding? Il gère d'autres participations. Il a, entre autres, une participation dans Belgian Airport pour EUR 35.000, et dans trois fonds immobiliers pour des valeurs entre 3 et 7m. Chacune de ces participation est décrite par un quart de page dans le rapport. En 2009, le holding a aussi investit EUR 50m dans un hedge fund dénommé Cheyenne. Il n'y a pas une seule ligne de description de cela dans le rapport! Ce fond, acheté avec des fonds empruntés et donc avec effet de levier, est repris à sa valeur d'achat. Pas d'indication de la politique d'investissement de ce fond ni de sa valeur actuelle. Une économie de vérité supplémentaire.

Pour faire de tels investissements, le holding doit certainement avoir des experts en investissement et des techniques de gestions professionnelles. Pour les techniques , il y a des procédures de suivit des risques et une gestion ALM mais on en saura pas beaucoup plus. Pour l'expertise, on sait qu'il prennent le temps de l'analyse; en 2010 le CA a passé une journée entière à une revue des participations. Une journée entière pour étudier plus de 2 milliards d'investissement! Et quelle a été le cout de cette expertise? Très peu, seulement EUR 906.000 pour les administrateurs et gérants (en plus des cinq employés plein temps). Et pour presque un million vous avez huit réunions avec un présence moyenne de 70%! Et où ont lieu ces huit réunions? Dans le nouveau siège social  acheté et rénové en 2008, c'est-à-dire pendant la crise, pour un montant de EUR 5,7m. Un siège de plus de cinq millions pour cinq employés et huit réunions par an!

Le holding a aussi des activités de trading pour compte propre, c'est-à-dire des activité purement spéculatives. Ces activités de trading pour compte propres sont les activités que certains politique veulent interdire aux banques de dépôts. Mais je suppose qu'ils estiment qu'avec huit réunions annuelles le CA a une meilleure compréhension du marché que les traders experts des banques qui y travaillent à temps plein avec l'aide d'une armée d'experts. L'expertise du CA est telle qu'ils ont vendu des options puts sur 17.5 m d'actions Dexia à un strike moyen de 5.72 EUR. Cela veut dire que le holding sera obligé d'acheter 17.5m d'action à 5.72 EUR pièce même si la valeur de l'action est de quelques cents. Cela représente un pay-off d'environ EUR 90m. Et ces options comment sont-elle prise en compte dans les résultats? Les produits dérivés ne sont pas valorisés à leur valeur de marché mais les primes reçues sont prises en résultat prorata temporis. C'était la même technique comptable utilisée par les fameux Fannie Mae et Freddie Mac. En 2002, lors d'un voyage à Washington, une institution financière m'avait demandé de visiter ces deux institutions et de faire un rapport pour des investissements potentiels. Mon rapport indiquait le manque de transparence, en particulier pour les dérivés, et recommandait de ne pas investir à cause de cette économie de vérité (même si je n'avais pas utilisé ce terme à l'époque). Mes recommandations n'avaient pas été suivies, mais c'est une autre histoire.

On peut aussi lire dans le rapport quelques phrase qui a posteriori peuvent faire sourire, comme le CA estime que la participation dans Dexia peut être comptabilisée à sa valeur historique ou sur base des différents scénario étudiés, le CA estime que le holding disposera des liquidités nécessaires. Le total du bilan s'élève à EUR 2.954.064.592,37: j'aime cette précision, incluant les centimes; c'est ce qu'on appelle être précisément erroné, par opposition à approximativement exact.

Comme on peut le voir la liquidation du Holding Communal n'est pas une surprise; la valeur intrinsèque de la structure est négative depuis longtemps. Le communiqué de presse du président Vermeiren de fin octobre qui affirme qu'il n'y a "ni erreur ni faute" n'y change rien. Du point de vue de la gestion financière, il est clair qu'il y a eu de nombreuses erreurs de gestions et fautes sur l'évaluation de la situation. La seule preuve de l'absence d'erreur que le président a trouvée est une lettre juridique de Dexia de 2008 sur l'augmentation de capital de Dexia. Si cette lettre est son argument principal de défense, cela ressemble plus à un aveu qu'autre chose.

Encore une fois, je recommande comme "sentence" pour les administrateurs la sentence que je recommandais précédemment (ce blog-ci et ce blog-là): interdiction de conseil d'administration/comité de direction de n'importe quelle entreprise liée à la finance et un "examen d'entrée" pour tout autre poste a responsabilité! En plus on pourrait ajouter l'interdiction d'un mandat d'échevin lié aux matières financières, ce serait justifié par rapport aux communes qui ont perdus quelques milliards.

Les comptes annuels sont comme les bikini : ce qu'ils montrent est intéressant, mais l'essentiel est ce qu'ils cachent.
Burton Malkiel - expert boursier - 1932

Ceci n'est pas Moulinsart! (ni un siège social)

samedi 3 décembre 2011

Cinq milliards!

L'état a récolté plus de cinq milliards en bons d'état (pour les chiffres exacts, voir le site de l'Agence de la Dette; le chiffre exact pour vendredi n'est pas encore publié au moment où j'écris). C'est un chiffre élevé qui va aider l'état belge dans la gestion de sa dette. J'ai moi même acheté récemment un peu de dette belge, mais pas sous la forme de bons d'état.

La question que je me pose est de savoir si les acheteurs savent exactement ce qu'ils ont acheté? Savent-ils qu'ils peuvent avoir mieux pour moins cher?

Les bons d'états sont des émissions de dette belge pour les particuliers faites à des conditions particulières. Pour les acheteurs, malheureusement particulières ne veut pas dire particulièrement avantageuses. Les particuliers peuvent également acheté (sur le marché secondaires) des OLO. OLO est l'abréviation de Obligations linéaires-Lineaire obligaties et est le nom de la dette belge utilisé par l'Agence de la Dette et le marché en général.

Les OLO c'est mieux pour moins cher! Les OLO ont un rendement (yield) supérieur à celui des bons d'état sur le marché primaire. Par exemple l'OLO BE0000309188 avec maturité 28.3.2016 a un coupon de 4% et un prix inférieur au pair. Même coupon pour moins cher, c'est-à-dire mieux en rendement! Pour la période du 24 novembre au 1 décembre (le chiffre du 2 décembre n'est pas encore disponible), les "taux de rendement moyens des emprunts ayant encore une durée à courir de 5 ans" étaient de (jour par jour) 5.57,  5.72,  5.25,  4.86,  4.42 et 4.53% (chiffres de la BNB). Cela veut dire que pendant la période de souscription, les taux des OLO étaient de 0.42% à 1.72% supérieurs à ceux des bons d'état.

De plus les OLO étant des investissements pour les privés et les institutionnels, il est plus facile de les revendre sur le marché secondaire. Leur encours est souvent plus élevé (plus de 11 milliards pour l'OLO mentionnée ci-dessus). L'OLO, c'est donc mieux en liquidité! Le précompte mobilier ne s'applique (pour le moment) qu'aux intérêts, pas aux plus-values. Si on achète une OLO sous le pair, on paye moins de taxes (mieux en imposition).

Qui donc a conseillé l'achat des ces bons? L'état, c'est une évidence et c'est dans son intérêt. Quel a été le rôle des banques de détail? Les banques devraient avoir un rôle de conseil auprès de leurs clients. Combien de banques ont proposé à leur clients qui voulaient acheter des bons d'état des OLO similaires mais moins chères? Je ne connais pas les chiffres exacts mais je pense que c'est de l'ordre de grandeur de très peu! Combien de banques indiquent clairement les commissions qu'elles reçoivent pour distribuer ces bons? D'après mes recherches aucune! Ce n'est pas une recherche exhaustive, mais je n'ai pu trouver l'information nulle part.

Comme j'argumentais il y peu dans un autre blog, je vois la crise financière actuelle comme une crise d'économie de vérité. Il ne ferait de mal à personne d'avoir un peu plus de transparence, pourquoi les commissions des intermédiaires ne sont pas indiquées clairement sur les prospectus? Dans le cas des bons d'état, je devine (mais je n'ai aucune source fiable sur le chiffre exact, malheureusement) que la commission est environ 0.50% du prix (Note: depuis que j'ai écrit ce blog, il y été indiqué que la commission est de 0.95%). Cela voudrait dire que sur les cinq milliards récoltés, environ 25 millions reviennent au banques. Les banques ont-elle clairement indiqué qu'en achetant des bons d'états l'acheteur prêtait à l'état belge et DONNAIT aux banques?

Dans le cas de Dexia et de Fortis banque (quelque soit le nom exact de ces entités aujourd'hui), les acheteurs ont-ils été mis au courant du conflit d'intérêt des "conseilleurs"? Ces banques étant propriété (directe ou indirecte) de l'état, elles vendent en fait de la dette de leur propriétaire. Est-il clair pour les acheteurs que les conseillers sont les bénéficiaires de leurs conseils?

Cela fait beaucoup de questions...

Je me permet aussi de pointer une caractéristique pléonastique (lue dans une brochure Dexia): "émis par l’Etat belge et bénéficiant de la garantie d’Etat".

La Grand Place, un jour de beau temps!

jeudi 1 décembre 2011

Econome avec la vérité!

En cette période de crise il semble naturel d'être économe. Il y a néanmoins un domaine où je voudrais argumenter contre les économies: la vérité.

Après la lecture de résumés d'auditions de la commission parlementaire Dexia, il semble que l'économie de vérité a recouvert cette saga. M. Miller, l'ancien CEO de Dexia, a été interrogé par la commission. Il a révélé un pacte secret entre la France et la Belgique. Plus précisément un pacte entre certains membres de gouvernements français et belges. Je fais cette précision car en tant que membre du groupe "Belgique", je ne me rappelle pas avoir participé ce pacte secret.

Révéler un pacte secret peut être interprété comme une diffusion de la vérité. Mais j'argumenterais plutôt qu'il s'agit un symptôme d'une économie de vérité du passé. Je ne me rappelle pas avoir vu cette information dans les rapports annuels de Dexia entre 2006 et 2008, quand Mr Miller était CEO. Ce qui veut dire que pendant cette période il a été économe avec la vérité envers les actionnaires de Dexia, ceux qui payaient son salaire.

Mr Piret, le Chief Risk Officer de Dexia, a aussi été interrogé mais a huis clos. Je me demande pourquoi a huis clos puisqu'il est interrogé pas un parlement qui me représente et que lui-même représente Dexia qui m'appartient à travers l'actionnariat de l'état. C'est comme si mon oreille droite ne pouvait pas écouter quand ma bouche parle à mon oreille gauche.

Il a indiqué avoir "alerté le comité de direction sur la situation de liquidité du groupe". Qu'à l'intérieur du groupe Dexia certaines personnes avaient des doutes sur la stratégie n'est pas une surprise, même vu de l'extérieur du groupe. J'en parlais déjà dans un blog précèdent. Là où une économie avec la vérité apparait c'est quand il parle de la "situation de liquidité du groupe", non pas que la situation soit bonne, mais c'est là confondre les symptômes et la maladie. La crise n'est pas une crise de liquidité; demandez aux banques centrales d'Europe, des Etat-Unis, de Suisse ou du Japon: elle croulent sous les liquidités, payent des intérêts négatifs (c'est-à-demandent des intérêts pour conserver votre argent) et ne savent pas comment se débarrasser des liquidités. Le problème est un problème de crédit; "on" ne veut pas prêter à Dexia parce qu'on est pas sur de revoir son argent. Cette incertitude est due aux risques (de crédit) gigantesques des portefeuilles de Dexia, risques supervisés depuis plus de cinq ans par le même Mr Piret. J'irais une étape plus loin, en disant que le problème est dans l'économie de vérité de Dexia vis-à-vis de ses créditeurs. Ce problème n'est pas un problème spécifique à Dexia mais un problème général des banques et des institutions financières. Après avoir été économes avec la vérité depuis de années, les banquiers (qui ne sont pas complètement stupides) ont commencé à réaliser que peut-être les autres institutions financières étaient aussi économes avec la vérité; et donc tout le monde a peur de tout le monde et chacun range les liquidités disponibles là ou il peut: dans les coffres (disques durs) des banques centrales.

Oui il y a une crise de liquidité et de crédit mais ce ne sont que des symptômes. Mrs Miller et Piret, la vraie crise est la crise d'économie de vérité, celle que vous avez commencée, ou à tout le moins accélérée.

On peut aussi noter les contradictions entre le témoignage de Miller disant "avoir suivi les recommandations des équipes des risques" et celui et celui de Piret disant "ne pas avoir été entendu". Une économie supplémentaire de vérité dans une saga qui n'en manque pas.

Mr Kubla a aussi témoigné, il a été plus direct que moi en ce qui concerne la vérité, il a dit "Je considère qu'on nous a menti". Il explique que les informations qu'il recevait étaient toujours rassurantes. Je n'ai participé à aucun conseil d'administration de Dexia (mais au cas où quelqu'un le demanderais, je peux me libérer un jour ou deux jours par mois) et je ne sais pas quelles informations Mr Kubla a reçues mais il semble indiqué qu'il n'a pas reçu des informations très précises sur la situation de la société et qu'il n'a pas demandé plus que ce qu'on lui donnait. Pour cela on pourrait penser qu'il a été économe avec la vérité sur sa capacité à être membre de ce conseil d'administration.

Concernant les différents témoignages de Mariani, De Haene, Miller et cie, je suis surpris par les réponses du genres "on ne pouvait pas prévoir" ou "on a été surpris". Bien sûr on ne peut demander des prévisions exactes faites en avance sur le déroulement de la crise. Dans ce sens il est normal qu'ils n'avaient pas prévus la crise. Il y a un autre sens à "prévisions": celui d'analyser l'étendue des futures possibles et pour chacun d'entre eux d'avoir une statégie pour la compagnie. Je voudrais voir un business plan de Dexia de 2007 qui indique les grandes lignes de la stratégie en cas d'une baisse importante des prix de l'immobilier aux Etats-Unis, une difficulté des emprunteurs (privés et publiques) surendettés à rembourser, une hausse des prix pétrolier et une difficulté d'approvisionnement en énergie, un cataclysme climatique majeur, … Les deux premiers scénarios sont devenus réalités, les deux autres pas, mais la question n'est pas là, la question est de savoir si ces analyses ont été faites et si oui quels étaient les résultats. D'après ce que j'entends, cela n'a jamais été fait, ils ont simplement pris un scénario rose et rêvé d'un future qui n'existera jamais.

"Gouverner, c'est prévoir" disait Emile de Girardin au XIXeme siècle. Il semble que les "gouvernant" du XXIeme siècle soient arrivés dans ce XXIeme siècle sans passer pas la case XIX.

Mrs Mariani, Miller, Piret, Richard, De Haene, Kubla, Di Rupo, Vermeiren et messieurs les membres du comité de direction et du conseil d'administration, avez-vous été économes avec la vérité sur les dangers de vos actions ou simplement économes avec vos efforts?

A peu près au même moment que ces témoignages sont publiés, un jugement a été rendu dans un procès lié à l'amiante et à la société Eternit. La valeur d'un vie humaine ne peut être comparé à quelques zéros (ou absence de zéros) écrits sur une feuille de papier qu'on appelle un bilan. Néanmoins je ne peux m'empêcher de comparer un attendu du jugement qui parle de " […] minimisé et dissimulé durant des années les dangers […]" avec la situation de Dexia. Je ne sais pas si légalement il y a une interdiction de minimiser et dissimuler durant des années les danger des décisions d'un conseil d'administration, mais d'un point de vue de gouvernance d'entreprise il y a une obligation de vérité envers les actionnaires. Je recommande comme "sentence" pour les administrateurs et membres du comité de direction de Dexia la sentence que je recommandais pour un d'entre-eux dans un blog précèdent: interdiction de conseil d'administration/comité de direction de n'importe quelle entreprise liée à la finance et un "examen d'entrée" pour tout autre poste a responsabilité!

Je sais cette sentence est un rêve, mais moi aussi je peux rêver d'un future qui n'existera jamais!