Les premiers commentaires concernent la forme du rapport. C'est un rapport écrit par des hommes politiques sur des faits où des hommes politiques sont impliqués. Il ne peut donc en aucun cas être vu comme impartial. Je ne mets pas en cause l'honnêteté individuelle des membres de la commission mais chacun d'eux est à la fois juge et partie dans l'affaire. Cette partialité est claire dans le vote des conclusions par la commission: 8 voix pour, 5 voix contre, majorité contre opposition. Cette implication de la majorité dans les faits débattus est claire quand on regarde la liste des (anciens) membres du conseil d'administration de Dexia SA: E. Ri Rupo (PS), S. Kubla (MR), F. Vermeiren (VLD), D. Donfut (PS), K. De Gucht (VLD), E. Andre (MR), J.L. Dehaene(CVP), and P. Mariani (ex-cabinet de N. Sarkozy). J'ai indiqué Mr Mariani, bien qu'il ne soit pas un pure politique (il n'a jamais été élu si mes informations sont correctes), uniquement pour insister qu'il était là pour des raisons politiques. Il n'a pas d'expérience réelle de banquier, pas plus que ses prédécesseurs P. Richard (haut fonctionnaire français) et A. Miller (avocat d'affaire). Ce vote majorité contre opposition, en plus l'exclusion du seul membre de l'opposition (le député Gilkinet) de son rôle de rapporteur, renforce le caractère politique du rapport. A ma connaissance l'exclusion a été faite à huis-clos (sans transparence), majorité contre opposition. D'après les termes mêmes de la présidente de la commission, le député Gilkinet était un des plus assidus et faisait très bien son travail, pourquoi se priver de ce travail lors de l'écriture du rapport?
Un second point sur la forme, et je m'étonne qu'il n'en soit pas plus question dans la presse, est l'absence de Mr Leterme aux auditions de la commission. Il a été convoqué trois fois par la commission, n'a jamais répondu et n'est jamais venu. Malheureusement il ne s'agissait pas d'une commission d'enquête et la commission ne pouvait pas le forcer à venir. On ne peut donc le condamner légalement, mais on pourrait au minimum le condamner moralement (rappeler son absence de manière régulière) et ajouter un article dans les règles des commissions de la chambre interdisant aux personnes ne se présentant pas aux commissions d'être membre d'une de ces commissions, sauf à être entendu par une commission d'enquête sur cette absence. Comme je n'attends pas qu'une telle règle soit votée, il ne reste que la condamnation morale et donc je répète: Mr Leterme, ancien premier ministre belge, n'a pas répondu à trois invitations d'une commission de la chambre des représentants, sur une période de six mois et de ce fait a perdu tout crédit dans le domaine de la vie publique belge. En parlant d'un participant de la saga Dexia, ancien premier ministre, qui a perdu tout crédit dans le domaine de la vie publique, je voudrais rajouter Mr Dehaene, pour son refus d'organiser des élections démocratiques en sa qualité de bourgmestre. Au moins pour lui on peut encore espérer une condamnation pas la justice.
Pour le fond, avant de passer à ce qui se trouve dans le rapport, parlons de ce qui ne se trouve pas dans le rapport. En lisant la liste de membres du conseil d'administration donnée plus haut et en se rappelant de l'absence de compétence bancaire de chacun d'entre eux, on pourrait espérer une petite recommandation comme: nommer des membres de conseil d'administration compétents. J'avais fait un blog sur notre premier ministre actuel et sa participation au conseil d'administration de Dexia pendant la période incriminée dans le rapport (2002-2007). Mais j'aurais pu remplacer ce nom par n'importe lequel dans la liste. Je voudrais faire une toute petite exception partielle pour Mr Kubla. Non pas qu'il ait été plus compétent que les autres mais c'est le seul qui après les faits a dit "j'estimes qu'on nous a menti". C'est le seul apparemment qui a eu assez de jugement et de courage pour accepter ce fait. Cela ne pardonne pas son absence de compétence en tant qu'administrateur mais au moins lui rend un peu de crédibilité comme personne publique.
J'en viens aux recommandations. Le système bancaire actuel c'est développé sur plusieurs centaines d'années et implique des millions de personnes. Le comprendre (et l'améliorer) nécessite une expérience et des connaissances qui ne peuvent s'acquérir que sur de nombreuses années. En lisant certaines recommandations j'ai l'impression qu'elles ont été écrites pas des amateurs peu éclairés qui découvrent cette matière. Je ne sais pas si les experts de la commission ont participé à l'écriture de ces recommandations, mais si c'est le cas, cela ne parle pas en faveur de leur "expertise".
Contrôle renforcé
Je suis certainement en faveur de contrôles renforcés si contrôles renforcés ne veux pas dire plus de règles mais de meilleures règles. Interdire des produits ne me semble pas une bonne règle mais imposer plus d'information sur les produits et pouvoir dire qu'une banque a manqué à son devoir de conseil dans certains cas me semble important. Que les régulateurs puissent assister aux conseils d'administration comme observateurs est une bonne idée, mais en quoi les régulateurs de demain seront-ils plus capable que les administrateurs d'hier s'ils sont nommés de la même façon?
Dépôts mieux rémunérés
C'est en lisant cette recommandation en particulier que je pensais "amateurs" en parlant des rédacteurs. La recommandation est de modifier la tarification en instaurant un système où les dépôts à échéances plus longues reçoivent des taux plus hauts. Les taux des dépôts dans le marché varient en fonction de leur maturité et de l'entité à qui on dépose les sommes. Souvent la courbe des taux est croissante (les taux pour une plus longue maturité sont plus hauts) et on parle de courbe "normale"; mais ce n'est pas toujours le cas parfois la courbe est décroissante et on parle de courbe inversée. Imposer une courbe croissante dans la tarification des banques revient à imposer une crise en cas de courbe inversée. Si la courbe réelle est inversée et la courbe forcée des banques est normale, soit leurs taux courts seront trop bas, soit leurs taux longs seront trop hauts. Dans le premier cas elles manqueront de dépôts (crise de liquidité), dans le second cas elles feront de pertes systématiques sur les dépôts long terme (crise de solvabilité). Cette croyance de courbe croissante en permanence a été à la base de la crise des "saving and loans" américains dans les années 80 et 90 et de très nombreuses faillites. Essayons de ne pas créer les germes de la prochaine crise en laissant des amateurs analyser la précédente. Une des raisons pour laquelle les banques belges ont beaucoup de dépôts à court terme (compte d'épargne) est la conséquence d'un choix de nos élus. Il y a une tranche non imposée d'intérêts sur les comptes d'épargnes et pas sur les comptes à terme et bons de caisse. Donc pour offrir un même taux net sur un dépôt à terme que sur un compte d'épargne les banque doivent payer 26.5% de plus en brut à cause de l'impôt de 21% (21/79=26.5%). Pourquoi essayer d'éliminer un symptôme (manque de dépôts à moyen/long terme) quand les recommandations devraient s'attaquer à la maladie (une fiscalité incohérente)?
Administrateurs
Une des recommandations concerne les administrateurs et indique que les députés (et d'autres fonctions publiques) ne pourront plus être administrateurs de banques systémiques. C'est très bien mais peut-être pourrait-on aller une étape plus loin. Certaines fonctions publiques sont des fonctions à temps plein (députés, membres de cabinet, fonctionnaires, etc.), il devrait leur être interdit d'avoir une autre fonction et en particulier un mandat d'administrateur dans une société importante quelconque. De même après leur mandat, les élus qui reçoivent une indemnité de sortie devraient être interdit de ces fonctions d'administrateur durant toute la période de cet indemnité. Cela nous éviterais à l'avenir d'avoir quelqu'un comme Mr Dehaene qui, tout en étant député Européen à temps plein, bourgmestre combattant la démocratie à temps plein, reçoit quelque millions de Inbev par an pour son carnet d'adresse d'ancien premier ministre après avoir été administrateur de la défunte SABENA, de la défunte et frauduleuse Lernout-Hauspie et de la presque défunte Dexia.
Experts permanents
La commission recommande de créer un comité d'experts permanents. C'est une très bonne idée. Encore faut-il trouver des experts. Je ne doute pas qu'ils existent en Belgique mais je ne suis pas sur qu'on les cherche là où ils sont. Pour la commission Dexia, le parlement a du faire appel à des experts extérieurs, est-ce avouer qu'il n'y a pas d'experts "intérieurs", qu'il n'y a pas l'expertise pour aider la commission dans les comités existants? Quels sont les experts qui ont aidé la commission? Un académique avec certaines connaissance certes, mais qui n'a jamais travaillé dans une banque et dont l'expertise du milieu bancaire n'est pas évidente. Le deuxième était un réviseur d'entreprise. Un réviseur pour aider à comprendre une entreprise qui a été révisée à de nombreuse reprises mais qui a complètement faillit. Je voudrais un peu plus de ce comité: de vrais experts (par exemple ceux qui sont invités comme conférenciers dans les séminaires internationaux de finance) avec une vraie expérience bancaire (par exemple dix années d'expérience dans la gestion des risques ou dans une salle de marché).
Prêts incestueux
La commission propose de revoir un article du code des sociétés pour empêcher des prêts "incestueux" (prêts d'une société d'un groupe aux actionnaires du même groupe pour une augmentation de capital). Cette manière d'éviter un problème particulier avec une règle particulière est pour moi une mauvaise manière d'approcher la régulation. Il "suffirait" d'avoir une régulation basée sur des principes et des régulateurs qui analysent la situation (par opposition à des régulateurs qui remplissent des formulaires). Le but du capital d'une banque est (de manière simplifiée) une protection contre les pertes potentielles. Si une banque prête à un de ses actionnaires pour acheter ses actions, quelle est la situation? En cas de difficultés de la banque (difficultés extérieure à ce prêt), la valeur des actions diminue, les actionnaires font des pertes et ne peuvent plus rembourser le prêt et il y a une perte pour la banque; le montant obtenu par la vente d'action disparait dans la perte et le rôle du capital (protection) n'est plus rempli. On peut dire que le capital n'existe pas ou dire qu'une réserve pour risques particuliers doit être enlevée du capital, quel que soit le choix des mots, pour l'analyse du bilan par les régulateurs, ce montant ne devrait pas être pris en compte. Pourquoi essayer d'éliminer un symptôme (des articles du code des sociétés) quand les recommandations devraient s'attaquer à la maladie (une régulation irréaliste)?
Cela me mène une fois de plus à mon slogan à propos des régulateurs depuis le début de la crise (voir mes blog Bannissement et régulateurs / Régulateurs et évolution):
Moins de régulation et des régulateurs (et dans ce cas-ci, des experts) plus compétents!