Dire qu'il n'y a pas de choix est un double mensonge de la part du premier ministre. C'est d'abord contraire aux faits, il n'y a aucune obligation légale ou autre de faire cette recapitalisation. Les actionnaires d'une entreprise n'ont pas d'obligation au-delà de capital déjà investit. Ensuite c'est un mensonge car la possibilité de ne pas faire d'augmentation de capital et de laisser Dexia mourir de sa mort naturelle a été discutée explicitement par l'état et Dexia. Comme on dit dans les journaux, j'ai cette information de sources familières avec le dossier qui souhaitent rester anonymes.
Les obligations du passé
Dire qu'il y a un choix ne veut pas dire qu'il est trivial. Le choix se fait sous contraintes, mais le choix existe. Les contraintes viennent du passé et proviennent des choix faits par les gouvernements successifs et les conseils d'administration de Dexia. A ce point il convient déjà de noté que notre premier ministre actuel, Mr Di Rupo, entre dans les deux catégories: il a fait partie des gouvernements de ces dernières années (directement ou indirectement) et partie du conseil d'administration de Dexia (voir ici).
Le gouvernement a engagé le pays par le passé dans la débâcle Dexia, à travers les garanties. La légalité de ces engagements doit encore être jugée par les tribunaux (si je me souviens bien il y a au moins une plainte contre ces engagements faits par un gouvernement en affaires courantes), mais d'un point de vue des marchés financiers, la Belgique a offert une garantie, si elle s'en dégage, même à travers les tribunaux, elle sera considérée comme en défaut de paiement. Si Dexia n'est pas re-capitalisée, cela aura un coût en garantie pour la Belgique. Le choix est donc soit de payer à travers la garantie, soit à travers une re-capitalisation à fonds perdus. Dexia n'ayant plus aucune activité commerciale en Belgique (et très limitées en France) l'impact est simplement financier et il n'y a pas de dysfonctionnement direct d'une banque de détail.
Sur ce point, je suis d'accord avec la commission Européenne, la recapitalisation est à fonds perdus et doit être considérée comme un dépense et non comme un investissement. A tous le moins la valeur de l'investissement doit être la valeur de marché après la recapitalisation. Mon pronostic est qu'il ne restera pas grand chose de cet "investissement".
La Belgique doit aussi tenir compte du fait que l'un des créditeurs important de Dexia est Belfius dont l'état est le seul actionnaire. D'un point de vue financier, il vaut sans doute mieux attendre que Dexia ait remboursé Belfius de la majorité des ses prêts avant de décider d'abandonner Dexia, si une telle décision est prise.
Comprendre les choix.
Je suis d'accord avec le premier ministre quand il dit que le gouvernement ne peut pas abandonner Dexia et s'en laver les mains, le gouvernement a pris des décisions dans le passé qui font qu'il ne peut pas se débarrasser du problème aujourd'hui. Mais je ne suis pas d'accord avec lui quand il dit qu'il n'y a pas de choix. Je voudrais voir un rapport clair des différentes possibilités avec leurs avantages et inconvénients. Mais qui peut écrire un tel rapport? Le gouvernement directement, les "experts" de la commission Dexia, Dexia elle-même, une banque d'investissement, ou quelqu'un d'autre? Passons les différentes possibilités en revue:
- Le gouvernement: les membres du gouvernement n'ont pas les compétences personnelles pour une telle étude. De plus il y a un conflit d'intérêts évident par rapport à ses décisions précédentes et un conflit d'intérêts personnel dans le chef du premier ministre lui-même (comme expliqué ici).
- Les "experts" de la commission Dexia: J'utilise les guillemets autour de "experts" car si ces personnes sont sans doute expert en quelques chose, elles ne l'étaient visiblement pas pour tous les aspects de l'analyse du dossier Dexia. J'en ai parlé dans mes blogs précédents (ici et là) et je suis toujours surpris que personne d'autre (politiciens, journaux) n'en parle.
- Dexia: Il y a là aussi un immense conflit d'intérêts. Le management actuel de Dexia est (bien) payé et a tout intérêt à faire durer la liquidation. Je ne connais pas beaucoup de patron de PME (c'est ce qu'est devenu Dexia holding aujourd'hui) qui sont payés 800,000 EUR/an sans risque et sans avoir investit un centime dans leur entreprise. Pourtant c'est le cas de Mr De Boeck, licencié en économie avec un grande dis, dont les faits d'armes sont d'avoir été CRO de Fortis qui a échoué pour avoir pris trop de risque et responsable de l'intégration ratée de ABN (voir ici).
- Banque d'investissement: là aussi il y a un conflit d'intérêts évident. Elles ont toutes directement ou indirectement des prêts, obligations ou des produits dérivés avec Dexia. Pour elles il est très utile que les pourvoirs publics supportent Dexia.
- Quelqu'un d'autre: mais qui? Ma proposition est de donner accès au dossier à des "citoyens experts", de manière assez large. Je ne pense pas qu'il y aura un nombre gigantesque de demande d'accès au dossier, surtout si on exige en retour un rapport avec un contenu minimum. Mais je vois bien quelques consultants proposer un rapport pour se faire un peu de publicité et quelques citoyens experts, comme des professeurs d'université ou des chercheurs avec des connaissance pointues, s'intéresser au dossier. Personnellement je me suis intéressé au dossier de la commission Dexia en allant à plusieurs auditions publiques (ici et là) et en lissant plusieurs rapports (opinion ici et la); comme c'est moi qui paye (un dix millionième de) la facture de la recapitalisation, j'estime avoir mon mot à dire.
La raison des mensonges?
On peut se poser la question du pourquoi ces mensonges. J'y vois deux raisons:
- Pour tromper les électeurs: pour pouvoir dire, lors des prochaines élections: "c'est pas ma faute". De la part du premier ministre, c'est pour moi doublement da faute: 1) comme membre du conseil d'administration de Dexia qui a autorisé la croissance incontrôlée du bilan entre 2004 et 2007, ce qui a mené à la chute de 2007-2011; 2) il (comme président d'un parti au pouvoir et puis comme premier ministre) a participé aux négociations et aux choix faits.
- Pour tromper les marchés financiers: Dire explicitement que l'on songe a mettre Dexia en faillite n'est pas bon pour Dexia et pour l'état son garant. Mais personne n'est dupe, les décideurs financiers savent que ces discussions ont lieu. Si moi, depuis mon bureau et sans "insider information" j'ai une idée de ce qui se passe chez Dexia, il n'y a pas de doute que les banques et investisseurs institutionnels qui ont des contacts réguliers, invitent des membres du management au restaurant et recrutent des gens qui quittent Dexia ont de meilleures informations que moi.
Business plan?
Je voudrais voir un business plan de Dexia qui inclus des risques de défauts réalistes pour les obligations du portefeuille, un cout de financement sur le long terme réaliste et une couverture des risques réaliste. Et avec cela la sensibilité du plan aux hypothèses faites. Et le "coût de financement" doit inclure l'impact sur le financement de l'état des obligations supplémentaire ainsi créées. Si un tel plan montre qu'il y a intérêts a garder Dexia sur le long terme plutôt que de le mettre en faillite ou le liquider immédiatement, je suis prêt à le supporter. Il va sans dire que le plan doit être public, réaliste et convainquant, mais cela va encore mieux en le disant. En l'absence d'un tel plan et en présence des nombreux conflit d'intérêts dans le chef des décideurs, mon opinion est fortement en faveur de ne pas continuer a maintenir ce zombie sur le long terme. Ce n'est pas en se cachant la vérité et en la découvrant quand il est trop tard que le problème sera résolu efficacement. C'est ce que les dirigeants de Dexia (Mariani en tête et maintenant De Boek) on fait depuis 2008 et on en voit les conséquences.
En conclusion, je répète (presque) le titre:
Recapitaliser Dexia: un choix qui devrait être fait en connaissance de cause et non pas une obligation décrétée par des acteurs avec des conflits d'intérêts flagrants.
J'ai vu un troupeau terriblement dangereux de moutons dociles.
Paul Krugman - 1997