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samedi 14 avril 2012

Rapport de la commission Dexia - lecture du rapport - les recommandations

Après avoir analysé les constatations dans mon blog précédent, je passe en revue les recommandations qui m'ont marquées, en bien ou en mal. Les recommandations ont été votées majorité contre opposition, il n'y a donc pas de consensus sur celles-ci. Je fais ma revue à travers un "J'aime! J'aime pas!". Les numéros réfèrent aux numéros des recommandations dans le rapport. Certaines recommandations sont dans les deux catégories.

J'aime!


1. Assister le consommateur dans l'appréciation des risques. Plus de transparence est certainement une bonne chose.

4. Renforcer le contrôle ex ante.

7. Fluidité et la qualité des informations. Cette recommandation devrait s'étendre aux actionnaires, eux aussi doivent être informés.

8. Les autorités de contrôle doivent être prévenues dès qu’une mise en garde est intervenue au sein de l’entreprise. Cela veut dire qu'elle ne l'ont pas été dans le cas de Dexia. Ne devrait-on pas aussi recommander aux autorités de contrôle de créer un moyen de communication à travers lequel les mises en grade peuvent être faites et une protection légale est assurée à ceux qui les font?

10. Le principe “fit and proper” soit mieux appliqué dans toutes les catégories de personnel des établissements financiers. /  33. Renforcer la qualité, l’expertise et l’éthique des administrateurs et des membres de la direction. - D’assurer aussi la diversité des spécialisations et de l’expérience antérieure des membres. / 34 La commission recommande de définir les profils requis des membres des organes des établissements financiers. Il semble évident de demander des gens compétents pour les fonctions vitales. Mais si cette recommandation est mise en pratique, elle amènera des changements, en particulier dans les comités de direction, les conseils d'administration et … le choix des experts de la commission. Je suis certainement en faveur de ces recommandations et faisais des recommandations similaires dans mes blog précédents. Malheureusement je constatais (ici et ici) que pour les nominations récentes, le monde politique belge n'a pas suivi ces recommandations. Pour les administrateurs de Belfius, l'expertise bancaire n'est pas claire pour la plupart d'entre-eux et la diversité est totalement absente (seulement des économistes et des juristes, spécialités minoritaires dans les salles de marché et la gestion des risques).

20. Une relation très clémente s’installe entre superviseur et supervisé. 44. Renforce les règles d’indépendance et celles relatives aux conflits d’intérêts des réviseurs d’entreprises.
La relation clémente entre superviseur et supervisés, n'est pas une recommandation mais une constatation, qui n'est pas très positive pour les  superviseurs. La même chose peut être dite des réviseurs, si la recommandation propose de renforcer leur indépendance, c'est quelle était défaillante dans la situation analysée.

39. Une présence garantie du responsable risk management lors de chaque réunion du conseil d’administration.
Il est important qu'un gestionnaire de risques puisse donner son point de vue. La recommandation serait mieux si le terme "responsable" était remplacé par le terme "expert", avoir la responsabilité d'organisation d'une équipe ne transforme pas une personne en expert du sujet.

45. Les actionnaires de référence d’institutions financières systémiques ne puissent porter atteinte aux principes de bonne gouvernance de ces institutions par l’entremise des administrateurs qui les représentent.
Cette recommandation est clairement dirigée vers les représentants d'ARCO, du Holding Communal et de l'état français. La recommandation aurait pu être complétée par une suggestion d'entamer des poursuites à l'encontre de ceux qui n'ont pas respecté les prescrits légaux.

J'aime pas!


1. Agrément spécifique pour les nouveaux produits grand public. Il n'y a nulle part dans les constatations une discussion de produits qui, dans la saga Dexia, ont crée un problème systématique pour le grand public. Je ne sais pas ce que les commissaires ont à l'esprit avec cette recommandation. Les produits les plus compliqués qui sont vendus au grand public sont les actions et les obligations gouvernementales: les actions sont des participations dans des entreprises avec des stratégies compliquées, qui peuvent changer et avec plusieurs niveaux de décisions; les obligations gouvernementales portent le risque habituel des obligations plus le risque légal qu'un gouvernement change les règles en cour de jeu, comme la Grèce l'a fait; ces produits sont bien plus compliqués et risqués que les produits dit structurés, qui eux ont des règles claires. Si ce n'est pas les produits que la commission a à l'esprit, je lui suggère de s'abstenir sur ce point. Prétendre qu'une commission aurait une meilleure compréhension des besoins de tous les citoyens individuellement semble un peu exagéré.

29. Des taux de plus en plus élevés suivant l'échéance. J'ai déjà dit le mal que je pense de cette recommandation, qui est équivalente à imposer une crise à venir, dans mon premier blog sur le rapport.

39. Une présence garantie du responsable risk management lors de chaque réunion du conseil d’administration.
Il est bien d'inviter un contrôleur de risques, mais il serait peut-être encore mieux d'inviter un preneur de risques. Les traders et gestionnaires de portefeuilles ont sans doute aussi un point de vue qu'il est important d'entendre. La commission recommande de renforcer le contrôle ex ante (recommandation 4) mais suggère d'inviter aux réunions seulement ceux qui contrôlent ex post.

53. Interdire la possibilité de procéder à des augmentations de capital en prêtant des fonds aux actionnaires d’une entité appartenant au périmètre d’un groupe.
Le problème n'est pas d'interdire cette pratique mais de clarifier que l'augmentation n'est pas prise en compte comme capital réglementaire. Le rapport indique que c'est déjà le cas mais que pour Dexia, les régulateurs ont décidé de ne tenir compte de ce fait qu'a partir de 2014 avec un étalement progressif sur 5 ans. Cela semble un bon cas d'application de la constatation dans la recommandation 20: Une relation très clémente s’installe entre superviseur et supervisé.

Conclusions


Pour certaines conclusions, le rapport enfonce des portes ouvertes, mais pourquoi pas? Il n'y a jamais assez de bonnes recommandations. Pour d'autres, les recommandations sont du style "il faut respecter les règles" et "il faut des responsables compétents"; cela semble aussi évident, mais doit être rappelé parce que cela n'a pas été le cas dans la situation analysée. Peut-être les constations auraient-elles pu être plus claires à propos de qui n'a pas respecté les règles et qui n'était pas compétent. Pour finir, il y a des recommandations qui ne me semblent pas très bien pensées ou pas appropriées.

dimanche 8 avril 2012

Rapport de la commission Dexia - lecture du rapport - les constatations

J'ai trouvé le rapport de la chambre et je l'ai lu. Je n'ai pas lu l'entièreté des 421 pages, mais presque (disons que j'ai passé une cinquantaine de pages de chiffres, d'extraits de communiqués de presse et de comparaisons).

Avant de passer à l'analyse elle-même, je dois dire que je suis heureux de l'existence de cette commission, du rapport et du fait qu'il soit possible de discuter de manière (presque) transparente de problèmes. Ci-dessous je suis assez critique du rapport; ces critiques doivent être prise comme des pistes pour une amélioration du processus et certainement pas un plaidoyer contre son existence.

En lisant le rapport, j'ai trouvé beaucoup de similitudes avec certains de mes blog sur Dexia. Je n'ai pas eu accès aux documents confidentiels des experts (les députés non plus d'ailleurs) ou a des "sources", mais simplement en connaissant en profondeur le fonctionnement des banques et en utilisant les informations publiques on peut deviner beaucoup de choses. Je ferai références à mes blogs précédents où cela est le cas.

Le rapport est divisé en deux parties: les constatations et les recommandations. Mon analyse sera divisé de la même façon. Pour les recommandations, vous devrez revenir dans quelques jours. Comme toujours, je ne fais pas un résumé du rapport mais je donne mes impressions; il y a donc des éléments importants que je ne mentionne pas parce qu'ils ne m'ont pas marqué spécialement.

Comme précédemment je commence par la forme. Rappelons le, le rapport a été écrit par une commission parlementaire et n'est donc pas neutre. Cela semble clair à sa lecture, les noms des administrateurs politiques (de Dexia et du Holding Communal) ne sont pas indiqués, ils auraient mérité de tous être mentionnés. Il faut aussi insister sur le fait que c'était une commission spéciale et pas une commission d'enquête. Elle n'avait donc pas beaucoup de pouvoir. En particulier elle n'avait pas le pouvoir de forcer les acteurs a témoigner. Deux de ces acteurs ont pleinement profité de cette absence de pouvoir: l'ancienne commissaire européenne Mme Kroes et l'ancien premier ministre belge Mr Leterme. Ces deux personnes ont perdu toute crédibilité dans la vie publique en refusant d'être auditionnés. Comme je le mentionnais dans mon blog précédent sur rapport de la commission [http://citoyennaif.blogspot.com/2012/03/commission-dexia-le-rapport-1.html] le seul rapporteur membre de l'opposition a été exclu de cette fonction. Le rapport ne donne pas plus d'indication du pourquoi de cette exclusion; il indique simplement que "la commission a décidé par 9 voix contre 5 et une abstention que M. Gilkinet ne serait plus rapporteur". Autant pour la transparence. Les règles de fonctionnement de la commission indiquent que "la commission nomme quatre rapporteurs"; la commission n'a pas suivit sont propre règlement jusqu'au bout.

Un autre mot sur la forme. Le rapport contient un certain nombre de graphiques. Ils sont pour la plupart illisibles. Sans doute étaient-ils à l'origine en couleur et ont été transformé en noir et blanc, toujours est-il qu'ils sont presque tous gris et on ne distingue pas les différents éléments. Cela sans parler des erreurs (Figure 2, il y a deux actionnaires avec 50% + 1 action) et des graphique simplement illisibles (Figure 3). Les graphiques semblent avoir été produits par des amateurs: soit des graphiques (sans standardisation) produits par Excel et PowerPoint, soit des copies d'écrans Bloomberg, il y a même un graphique provenant d'un blog (pas le mien). Ils auraient pu utiliser un logiciel convenable et uniformiser cela.

Passons au fond. Il semble que le texte a été écrit en grande partie par les experts (ils étaient payés pour cela) avec la supervision des rapporteurs. A la lecture, on a l'impression que certains passages du texte sont des "copier-coller" de vielles brochures de marketing de Dexia (page 50 et 51 en particulier).

Des petites erreurs (qui s'accumulent)...

 

Le rapport contient pas mal d'erreurs à propos des marchés financiers. Cela semble indiquer que les auteurs (les experts?) n'ont pas une connaissance approfondie des ces marchés. Les doutes que j'exprimais sur ces experts en terme de connaissance des banques et des marchés financiers semblent justifiés.

Il y a une double confusion entre repo (transaction avec collatéral) et OIS (swap lié a un taux interbancaire sans collatéral) : la confusion est entre un prêt et un produit dérivé et entre des prêts avec et sans collatéral; le graphique de ces taux est en USD et pas en EUR. C'est comme si un "expert" de football confondait Barcelone et le Real de Madrid.

A plusieurs endroits il y a une confusion entre "duration" (une mesure de risque de taux) et "durée" (une mesure de temps); les deux mesures sont exprimées dans la même unité (année) mais sont différentes.

Dans le chapitre qui parle des "swaps", il est indiqué à de très nombreuses reprise que le taux de référence est le Bund allemand (à dix ans), cela est bien sur totalement inexact (voir mon blog sur Libor: http://citoyennaif.blogspot.com/2012/03/libor-mon-beau-libor.html). Je comprends mieux maintenant les erreurs parues dans les journaux récemment à ce sujet. Il est indiqué que le taux flottant de référence des swaps est devenu Eonia; c'est également incorrect. Il est vrai que le taux Euribor était vu avant la crise comme un taux presque sans risque et que cette impression a changée et que la référence du taux sans risque est maintenant plutôt Eonia, mais cela ne change pas la référence des swap. Pour reprendre une expression connue, ils ont entendu un âne braire mais ils ne savent pas dans quel pré! Il y a une description d'un exemple de swap (page 281). Les chiffres de l'exemple sont non-cohérents et dans la situation nette, la marge (75bps) disparait, la différence Euribor 3m/6m disparait et le financement de la transaction n'est pas indiqué. Cette différence entre Euribor 3m et 6m n'est pas anecdotique, comme tous ceux qui ont travaillé dans les marchés financiers le savent. Elle était, si on en croit un article de Risk Magazine (http://www.risk.net/risk-magazine/feature/1564177/scaling-peaks-3s-6s-basis), particulièrement importante pour Dexia qui, toujours d'après cet article, a subit des pertes conséquentes sur cette différence et pendant très longtemps ne les a pas reconnues dans ses comptes. Mais les "experts" ne mentionnent pas ce fait important. Le rapport mentionne la possibilité de swap interne avec un groupe d'expert de Dexia pour diminuer les swaps externes. Mais il indique que cette sophistication de gestion n'est pas compatible avec les choix du management et que le coût de l'écurie (leur terme) serait trop important. Le coût salariale de ces experts serait certainement bien moins important que le coût du CEO (environ 1.5 millions par an) et que le coût des consultants extérieurs (80 millions). De plus il semble que de tels experts de renommée internationale étaient présents en interne chez Dexia (un pour le risque de crédit et un pour les taux d'intérêts); au moins un était systématiquement conférencier invité dans les conférences de finance quantitative (c'est facile à vérifier sur internet). De ce point de vue, Dexia semblait bien mieux équipé que les autres banques belges. Ceux qui suivent la finance quantitative de près étaient certainement au courant mais apparemment pas les "experts" de la commission (ni le management). Dans le rapport il y a aussi une "analyse" de la couverture des risques de taux par des swaptions. Cette proposition ne peut être considérée comme sérieuse à cause de l'asymétrie de la couverture, de son coût et du risque sur les résultats. Il y a une autre proposition de fermer les swaps existants pour en ouvrir de nouveaux au pair; en plus du fait que cela est très difficile à faire, cela ne change en rien la position de risque de marché et de liquidité de la banque, mais cela aussi semble échapper aux auteurs.

Pour en finir les petites imprécisions, il y a une comparaison de la situation des swaps de Dexia avec la situation de Metallgeselshaft AG souvent reprise dans les livres d'économie; le fait que ce cas bien connu était une entreprise industrielle (pas une institution financière) qui utilisait des futures (pas des swaps) semble aussi avoir échappé aux auteurs.

De la réalité économique différente de la réalité comptable et de celle des régulateurs


A de nombreux endroits le rapport parle de valorisation. En général il y a un manque de distinction entre la valeur économique (combien peut-on en obtenir maintenant), la valeur comptable et la valeur utilisée dans la régulation (deux chiffres différents mais tous les deux de simple chiffres écrit sur du papier sans nécessairement de référence à une valeur économique). Cette confusion a été entretenue pendant les auditions par les acteurs (Mr Mariani en particulier) et malheureusement le rapport n'aide pas à la clarification. La grande défense du management post-2008 est qu'une gestion différente de la leur aurait créé des pertes supplémentaires importantes. Ces pertes supplémentaires sont comptables et régulatrices, pas économiques. La valeur économique était déjà perdue. Cette confusion a amené le management à prendre de mauvaises décisions, en particulier dans la gestion du risque souverain. Le management ne voyait pas de raison de vendre le portefeuille souverain (au moins une partie) car il n'y avait pas de charge de risque de crédit d'après les régulateurs (Bale II: pondération 0%), pas de perte de liquidité (possibilité de repo) et une promesse de gain faible sur la durée (marge entre l'emprunt court terme et le prêt long terme). Il n'y avait pas de raison urgente de vendre. Cette vue simpliste du management ne résiste évidement pas à une analyse d'un opérateur expérimenté: le risque de crédit nul n'est qu'une invention des régulateurs pour protéger leurs commanditaires (les états), la liquidité est affectée marginalement dans tous les cas à cause des "haircut" et de manière importante en cas de baisse des prix, et les gains faibles potentiels sont compensés par de larges pertes possibles (demandez aux créditeurs de la Grèce). La vente d'une partie du portefeuille souverain, celui-là même qui a porté le coup de grâce à Dexia, avait été proposée par plusieurs experts extérieurs. Le coût des CDS sur Dexia était supérieur aux coûts des CDS sur les états de la zone euro (sauf la Grèce), cela veut dire que le marché dans son ensemble considérait qu'il en coutait plus a Dexia pour se financer que les gains qu'il obtenait par l'investissement. Le choix du management était équivalent à dire: "Nous savons mieux que les autres". Une arrogance dont il est question par ailleurs. Cette erreur du management a été renforcée par une régulation inadéquate. Dans un cas extrême, des ventes qui diminuent le risque économique et ne change pas la valeur économique du portefeuille n'était pas possible car elle augmentaient le risque perçu par les chiffres des régulateurs. Un aveuglement des régulateurs et une myopie et une confusion du management actuel n'ont pas aidé Dexia.

Tant que j'en suis à parler du bilan, je voudrais ajouter quelques informations glanées çà et là. Bien qu'après la recapitalisation de septembre 2008 il y avait une insistance sur la diminution du bilan, celle-ci n'a pas été directe. Il y a une une augmentation du bilan en 2008 (bien que la crise ait débuté en juillet 2007). A l'arrivée du nouveau management, 91 milliards sont passés d'une ligne comptable à l'autre, rendant l'analyse plus difficile. Certains portefeuilles ont grossi entre 2008 et 2010 (le portefeuille souverain en particulier). Il y aurait du avoir une diminution naturelle avec les maturités; un calcul simpliste basé sur une maturité moyenne de 9 ans indiqué dans le rapport, donne une diminution naturelle de 10%. La diminution de la taille du bilan n'a pas été faite de manière très agressive.

Le rapport reprend des chiffres fournis par Dexia sur l'"impact de la crise" sur les résultats de 2008. Une analyse critique de ces chiffres devrait se demander quel était l'impact de la crise avant la crise. Cela peut paraitre à première vue étrange mais la raison pour laquelle je fais cette demande est la suivante: la crise est l'éclatement d'une bulle; pour éclater la bulle a du grossir; les chiffres d'avant la crise reflètent ce grossissement et donc contiennent des profits imaginaires qui ont été perdu pendant la crise. En présentant les chiffres comme le management le fait et comme le rapport dans sa foulée, on a l'impression que les profits sont dûs a un bon management et les pertes à "pas de chance". C'est une image trompeuse de la réalité.

Des problèmes relationnels de Mr Mariani


Le rapport pointe les problèmes relationnel de Mr Mariani tant en interne qu'en externe. Ces problèmes ont culminé avec les démissions de deux membres belge expérimentés du management (Mrs De Walque et Decraene). Son style autoritaire et le recours systématique aux consultants externes Bain (dont coût 80 millions) ont crée des conflits dans le comité de direction, en particulier avec la direction de DBB. Ces conflits évitables ont eu une influence négative sur l'évolution de Dexia. Les erreurs de communication du management étaient en interne mais aussi en externe, en particulier avec Moody's. Le fait que Mr Mariani ait imposé son "protégé", Mr Joly (un ex-inspecteur des finance comme lui), devenu de facto le numéro 2 de Dexia, alors que le numéro 2 officiel était Mr Decraene n'a pas aidé. Mr Mariani c'est fait apparemment beaucoup d'ennemis à l'intérieur comme à l'extérieur de Dexia depuis 2008.

Le salaire de Mr Mariani est assez élevé (environ 1.5 millions par an, supérieur à celui de son prédécesseur) et il faut y ajouter le coût des consultants extérieurs (Bain) de 80 millions. Le rapport qualifie le recourt aux consultants extérieurs de "contre productif". Mr Mariani est également parvenu a faire transformer une partie de son salaire variable de 200,000 euros en un salaire fixe (appelé prime de fonction). Cette prime de fonction lui a été versée même après de démantèlement de 2011, bien que sa fonction ait fondamentalement changée (de CEO d'un grande banque internationale à CEO d'une petite bad bank). Le salaire variable de Mr Mariani et du reste de la direction était lié au respect des engagements envers la commission européenne (CE). D'après le rapport de l'expert indépendant engagé pour analyser ce respect, plusieurs engagements n'ont pas été tenus (sur le RAROC, le financement à court terme, la cession des participations et la diminution du bilan). Dexia a contesté cette analyse par l'expert mais semble avoir payé néanmoins la partie variable non due du salaire de Mr Mariani; mais le rapport n'est pas très clair à ce propos.

Des dividendes et des administrateurs


Dexia a payé un "dividende en action bonus". Ce payement avait été qualifié de monnaie de singe par Mr Thiry dans son audition mais ce terme n'est malheureusement pas repris dans le rapport (il semble que je sois le seul a avoir rapporté ce mot; voir mon blog http://citoyennaif.blogspot.com/2012/01/commission-dexia-audition-de-mr-thiry.html). Ce dividende a été décidé suite à la demande insistante des administrateurs d'Arco et du Holding Communal (HC). Ce payement ne changeait en rien ni la liquidité, ni la valeur de la société Dexia. Le rapport insiste sur le fait que d'après la loi sur les sociétés commerciales les administrateurs d'une société représentent cette même société et non pas les actionnaires qui les ont élus. La demande du payement du dividende en action a eu un coût administratif et a utilisé de l'énergie en interne chez Dexia pour organiser juridiquement ce "payement". Cette demande a donc eu un impact négatif sur Dexia. Les administrateurs n'ont pas rempli le rôle qui est légalement le leur. Le rapport s'arrête juste avant de suggérer une poursuite judiciaire contre ces administrateurs; je ne comprends pas pourquoi cette réticence quand une poursuite judiciaire est demandée pour un acteur extérieur (Moody's) qui n'avait pas d'obligation légale vis-à-vis de Dexia. De même les administrateurs représentants l'état français ont, d'après le rapport, faillit à leurs obligations en imposant de conserver l'importance de DCL au détriment du bien de la société Dexia SA.

A propos des actions bonus reçues par les actionnaires, le rapport indique qu'un avis de la commission des normes comptables (CNC) indique que les actions bonus ne sont pas un revenu. Ces actions ont néanmoins été comptabilisées comme tel par Arco et le HC. Pour ce qui est des prêts de DBB aux mêmes Arco et HC, j'indiquais dans mon premier blog sur le rapport qu'une analyse économique (et non réglementaire) faite par les régulateurs aurait dû exclure le "faux" capital ainsi obtenu des chiffres des régulateurs. Il semble que cette analyse a été faite par les régulateurs (ce qui est bien) mais que la conclusion a été que cela ne serait pris en compte qu'à partie de 2014 avec un étalement progressif de l'impact sur 5 ans! On croit rêver!

D'autres petites choses


Le désastre financier de Dexia n'est pas seulement dû à des risques financiers trop importants pris par le management mais aussi dû à des risques opérationnels et juridiques, en particulier dans les achats aux Pays-Bas (perte de 2.5 milliards). L'expertise juridique supposée de la direction précédente (Mr Miller n'est pas un banquier mais un avocat d'affaire) ne semble pas avoir servit beaucoup.

En parlant de la diminution des liquidités fournies par le marché, il est indiqué dans le rapport que les institutions financières internationales (en particulier la BRI) ont apporté beaucoup moins de fonds avec la crise. J'en parlais déjà dans un blog en avril 2008: http://citoyennaif.blogspot.com/2008/04/crise-de-liquidite-le-double-jeu-des.html

Le rapport mentionne les "stress tests" organisés par l'EBA et qui n'avait un impact que sur le "trading book" (pas le banking book). J'en parlais dans mon blog http://citoyennaif.blogspot.com/2011/04/vos-stress-tests-avec-ou-sans-stress.html. Le rapport indique que "cet exercice était comme une tentative de contribuer à la restauration de la confiance". Autrement dit c'était un mensonge intentionnel et institutionnel par omission de l'EBA.

J'aurais aussi pu aussi parler d'autres points (mais je ne le ferai pas ;-))
- de DCL, de sa gestion défaillante des risques et des protections par les "français" pour éviter la diminution de l'importance du canard boiteux.

- des risques de liquidité et de crédit qui étaient connus par les experts de la banque (j'en parlais dans mon blog http://citoyennaif.blogspot.com/2011/11/commission-dexia-interroger-les-bonnes.html) et communiqués au management.

- des mensonges d'un management rassurant, en interne et en externe, qui déclarait qu'il n'y avait pas de problème, que FSA n'était pas impliqué dans la crise des subprime et que le démantèlement n'était pas envisagé, …

Conclusion


En conclusion, je suis content que ce rapport existe, il officialise ce que beaucoup savaient déjà: les erreurs des comités de direction et des conseils d'administration passés et présents et en particulier l'amateurisme dans la gestion des risques. Le rapport met en évidence des manquements de certains acteurs à leurs obligations légales mais ne les nomme pas explicitement et ne suggère pas de poursuites à leur encontre. Malheureusement il est évident que les auteurs du rapport ne sont pas des experts sur le fonctionnement des banques et des marchés financiers, ils manquent de mettre en évidence des faits importants du dossier; de plus cela nuit à la crédibilité du rapport sur ces aspects.

samedi 10 décembre 2011

Hedge fund communal!

Il y a quelques jours le Holding Communal a décidé d'une liquidation volontaire. J'ai toujours eu des doutes sur cette structure et suite a cette liquidation, je me suis décidé à avoir une vue plus informée. Un bon moyen d'avoir plus d'informations est de lire le rapport annuel. Ce genre de document n'est pas toujours très précis et permet de cacher beaucoup de choses mais peut être utile.

Je dois dire que la lecture de ce document m'a surpris. Je ne pensais pas y trouver autant d'indications claires d'un dysfonctionnement profond. Quand j'utilise les termes "dysfonctionnement" ou "erreur", je ne parle pas en termes juridiques ou comptables mais en terme de gestion financière d'une structure disposant de connaissances financières élémentaires; je laisse les appréciations juridiques aux tribunaux. Tous les chiffres concernant le holding que je mentionne proviennent du rapport annuel; je n'ai en rien réécrit l'histoire a posteriori. Les termes en italique sont repris du rapport (et donc les termes du CA).

Le holding communal doit être considéré comme une structure financière, un peu comme un fond commun de placement. La quasi totalité de ses avoirs sont des avoirs financiers, en majorité cotés sur des marchés ouverts. Il n'y a pas d'activité industrielle ou de service; il n'y a pas de valeur de la marque, de savoir faire particulier ou de clients fidèles. L'évaluation de la valeur du holding devrait être simple, c'est la somme des valeurs de marché des composants. La participation principale est Dexia (Dexia SA, et pas Dexia Bank Belgium). La valeur de marché de cette participation était de EUR 669 millions (m). Dans les comptes elle est rapportée à EUR 2.113 m. C'est-à-dire une surévaluation de EUR 1.444m. Les capitaux propres étant de EUR 1.221m, la valeur intrinsèque du fond était négative. N'importe quel hedge fund dans cette situation aurait été liquidé avant la fin de l'année. La structure financière du Holding Communal, gérée par les politiques, semble bien moins régulée que les hedge funds que certains politiques accusent de manque de régulation!

La valeur utilisée dans les comptes est une valeur historique ou valeur d'acquisition. C'est-à-dire que pour estimé la valeur d'une participation détenue à long terme du holding le conseil d'administration (CA) préfère regarder dans le passé (combien cela a-t-il couté il y a quelques années) plutôt que l'estimation du future (valeur de marché). La justification de cette utilisation est en référence à la valeur comptable de l'action Dexia hors réserve AFS. Les réserves AFS (Available For Sale) sont les moins-values latentes de Dexia non reconnues dans ses comptes comme des pertes. En clair le holding communal justifie de ne pas rapporter ses pertes par le fait que sa principale participation ne le fait pas! Quand on sait que Dexia lui-même avait déjà utilisé une "reclassification" de 98 milliards d'actifs pour ne pas devoir indiquer la réserve AFS sur ces actifs, on voit le niveau d'absence de transparence. Une économie de vérité supplémentaire, comme d'autres que je décrivais dans une blog précédent.

Malgré cette économie de vérité, le holding a du rapporter une perte: un résultat courant de EUR -17.5 m. Néanmoins en utilisant des "bénéfices reportés", le holding a payé un dividende de EUR 17.5m! Oui, une structure financière qui a une valeur négative de EUR 200m paye un dividende de EUR 17.5m. L'utilisation du lissage des résultats (par l'utilisation de bénéfices reportés) me rappelle un peu Fannie Mae et Freddie Mac, les deux géants des prêts hypothécaires américains en faillite qui ont été condamnés pour fraude en rapport à leur habitude de lisser leurs résultats (voir par example cet article).

A part regarder sa participation dans Dexia, que fait le holding? Il gère d'autres participations. Il a, entre autres, une participation dans Belgian Airport pour EUR 35.000, et dans trois fonds immobiliers pour des valeurs entre 3 et 7m. Chacune de ces participation est décrite par un quart de page dans le rapport. En 2009, le holding a aussi investit EUR 50m dans un hedge fund dénommé Cheyenne. Il n'y a pas une seule ligne de description de cela dans le rapport! Ce fond, acheté avec des fonds empruntés et donc avec effet de levier, est repris à sa valeur d'achat. Pas d'indication de la politique d'investissement de ce fond ni de sa valeur actuelle. Une économie de vérité supplémentaire.

Pour faire de tels investissements, le holding doit certainement avoir des experts en investissement et des techniques de gestions professionnelles. Pour les techniques , il y a des procédures de suivit des risques et une gestion ALM mais on en saura pas beaucoup plus. Pour l'expertise, on sait qu'il prennent le temps de l'analyse; en 2010 le CA a passé une journée entière à une revue des participations. Une journée entière pour étudier plus de 2 milliards d'investissement! Et quelle a été le cout de cette expertise? Très peu, seulement EUR 906.000 pour les administrateurs et gérants (en plus des cinq employés plein temps). Et pour presque un million vous avez huit réunions avec un présence moyenne de 70%! Et où ont lieu ces huit réunions? Dans le nouveau siège social  acheté et rénové en 2008, c'est-à-dire pendant la crise, pour un montant de EUR 5,7m. Un siège de plus de cinq millions pour cinq employés et huit réunions par an!

Le holding a aussi des activités de trading pour compte propre, c'est-à-dire des activité purement spéculatives. Ces activités de trading pour compte propres sont les activités que certains politique veulent interdire aux banques de dépôts. Mais je suppose qu'ils estiment qu'avec huit réunions annuelles le CA a une meilleure compréhension du marché que les traders experts des banques qui y travaillent à temps plein avec l'aide d'une armée d'experts. L'expertise du CA est telle qu'ils ont vendu des options puts sur 17.5 m d'actions Dexia à un strike moyen de 5.72 EUR. Cela veut dire que le holding sera obligé d'acheter 17.5m d'action à 5.72 EUR pièce même si la valeur de l'action est de quelques cents. Cela représente un pay-off d'environ EUR 90m. Et ces options comment sont-elle prise en compte dans les résultats? Les produits dérivés ne sont pas valorisés à leur valeur de marché mais les primes reçues sont prises en résultat prorata temporis. C'était la même technique comptable utilisée par les fameux Fannie Mae et Freddie Mac. En 2002, lors d'un voyage à Washington, une institution financière m'avait demandé de visiter ces deux institutions et de faire un rapport pour des investissements potentiels. Mon rapport indiquait le manque de transparence, en particulier pour les dérivés, et recommandait de ne pas investir à cause de cette économie de vérité (même si je n'avais pas utilisé ce terme à l'époque). Mes recommandations n'avaient pas été suivies, mais c'est une autre histoire.

On peut aussi lire dans le rapport quelques phrase qui a posteriori peuvent faire sourire, comme le CA estime que la participation dans Dexia peut être comptabilisée à sa valeur historique ou sur base des différents scénario étudiés, le CA estime que le holding disposera des liquidités nécessaires. Le total du bilan s'élève à EUR 2.954.064.592,37: j'aime cette précision, incluant les centimes; c'est ce qu'on appelle être précisément erroné, par opposition à approximativement exact.

Comme on peut le voir la liquidation du Holding Communal n'est pas une surprise; la valeur intrinsèque de la structure est négative depuis longtemps. Le communiqué de presse du président Vermeiren de fin octobre qui affirme qu'il n'y a "ni erreur ni faute" n'y change rien. Du point de vue de la gestion financière, il est clair qu'il y a eu de nombreuses erreurs de gestions et fautes sur l'évaluation de la situation. La seule preuve de l'absence d'erreur que le président a trouvée est une lettre juridique de Dexia de 2008 sur l'augmentation de capital de Dexia. Si cette lettre est son argument principal de défense, cela ressemble plus à un aveu qu'autre chose.

Encore une fois, je recommande comme "sentence" pour les administrateurs la sentence que je recommandais précédemment (ce blog-ci et ce blog-là): interdiction de conseil d'administration/comité de direction de n'importe quelle entreprise liée à la finance et un "examen d'entrée" pour tout autre poste a responsabilité! En plus on pourrait ajouter l'interdiction d'un mandat d'échevin lié aux matières financières, ce serait justifié par rapport aux communes qui ont perdus quelques milliards.

Les comptes annuels sont comme les bikini : ce qu'ils montrent est intéressant, mais l'essentiel est ce qu'ils cachent.
Burton Malkiel - expert boursier - 1932

Ceci n'est pas Moulinsart! (ni un siège social)