J'ai trouvé le rapport de la chambre et je l'ai lu. Je n'ai pas lu l'entièreté des 421 pages, mais presque (disons que j'ai passé une cinquantaine de pages de chiffres, d'extraits de communiqués de presse et de comparaisons).
Avant de passer à l'analyse elle-même, je dois dire que je suis heureux de l'existence de cette commission, du rapport et du fait qu'il soit possible de discuter de manière (presque) transparente de problèmes. Ci-dessous je suis assez critique du rapport; ces critiques doivent être prise comme des pistes pour une amélioration du processus et certainement pas un plaidoyer contre son existence.
En lisant le rapport, j'ai trouvé beaucoup de similitudes avec certains de mes blog sur Dexia. Je n'ai pas eu accès aux documents confidentiels des experts (les députés non plus d'ailleurs) ou a des "sources", mais simplement en connaissant en profondeur le fonctionnement des banques et en utilisant les informations publiques on peut deviner beaucoup de choses. Je ferai références à mes blogs précédents où cela est le cas.
Le rapport est divisé en deux parties: les constatations et les recommandations. Mon analyse sera divisé de la même façon. Pour les recommandations, vous devrez revenir dans quelques jours. Comme toujours, je ne fais pas un résumé du rapport mais je donne mes impressions; il y a donc des éléments importants que je ne mentionne pas parce qu'ils ne m'ont pas marqué spécialement.
Comme précédemment je commence par la forme. Rappelons le, le rapport a été écrit par une commission parlementaire et n'est donc pas neutre. Cela semble clair à sa lecture, les noms des administrateurs
politiques (de Dexia et du Holding Communal) ne sont pas indiqués, ils auraient mérité de tous être mentionnés. Il faut aussi insister sur le fait que c'était une commission spéciale et pas une commission d'enquête. Elle n'avait donc pas beaucoup de pouvoir. En particulier elle n'avait pas le pouvoir de forcer les acteurs a témoigner. Deux de ces acteurs ont pleinement profité de cette absence de pouvoir: l'ancienne commissaire européenne Mme Kroes et l'ancien premier ministre belge Mr Leterme.
Ces deux personnes ont perdu toute crédibilité dans la vie publique en refusant d'être auditionnés. Comme je le mentionnais dans mon blog précédent sur rapport de la commission [
http://citoyennaif.blogspot.com/2012/03/commission-dexia-le-rapport-1.html] le seul rapporteur membre de l'opposition a été exclu de cette fonction. Le rapport ne donne pas plus d'indication du pourquoi de cette exclusion; il indique simplement que "
la commission a décidé par 9 voix contre 5 et une abstention que M. Gilkinet ne serait plus rapporteur". Autant pour la transparence. Les règles de fonctionnement de la commission indiquent que "
la commission nomme quatre rapporteurs"; la commission n'a pas suivit sont propre règlement jusqu'au bout.
Un autre mot sur la forme. Le rapport contient un certain nombre de graphiques. Ils sont pour la plupart illisibles. Sans doute étaient-ils à l'origine en couleur et ont été transformé en noir et blanc, toujours est-il qu'ils sont presque tous gris et on ne distingue pas les différents éléments. Cela sans parler des erreurs (Figure 2, il y a deux actionnaires avec 50% + 1 action) et des graphique simplement illisibles (Figure 3). Les graphiques semblent avoir été produits par des amateurs: soit des graphiques (sans standardisation) produits par Excel et PowerPoint, soit des copies d'écrans Bloomberg, il y a même un graphique provenant d'un blog (pas le mien). Ils auraient pu utiliser un logiciel convenable et uniformiser cela.
Passons au fond. Il semble que le texte a été écrit en grande partie par les experts (ils étaient payés pour cela) avec la supervision des rapporteurs. A la lecture, on a l'impression que certains passages du texte sont des "copier-coller" de vielles brochures de marketing de Dexia (page 50 et 51 en particulier).
Des petites erreurs (qui s'accumulent)...
Le rapport contient pas mal d'erreurs à propos des marchés financiers. Cela semble indiquer que les auteurs (les experts?) n'ont pas une connaissance approfondie des ces marchés. Les doutes que j'exprimais sur ces experts en terme de connaissance des banques et des marchés financiers semblent justifiés.
Il y a une double confusion entre repo (transaction avec collatéral) et OIS (swap lié a un taux interbancaire sans collatéral) : la confusion est entre un prêt et un produit dérivé et entre des prêts avec et sans collatéral; le graphique de ces taux est en USD et pas en EUR. C'est comme si un "expert" de football confondait Barcelone et le Real de Madrid.
A plusieurs endroits il y a une confusion entre "
duration" (une mesure de risque de taux) et "
durée" (une mesure de temps); les deux mesures sont exprimées dans la même unité (année) mais sont différentes.
Dans le chapitre qui parle des "swaps", il est indiqué à de très nombreuses reprise que le taux de référence est le Bund allemand (à dix ans), cela est bien sur totalement inexact (voir mon blog sur Libor:
http://citoyennaif.blogspot.com/2012/03/libor-mon-beau-libor.html). Je comprends mieux maintenant les erreurs parues dans les journaux récemment à ce sujet. Il est indiqué que le taux flottant de référence des swaps est devenu Eonia; c'est également incorrect. Il est vrai que le taux Euribor était vu avant la crise comme un taux presque sans risque et que cette impression a changée et que la référence du taux sans risque est maintenant plutôt Eonia, mais cela ne change pas la référence des swap. Pour reprendre une expression connue, ils ont entendu un âne braire mais ils ne savent pas dans quel pré! Il y a une description d'un exemple de swap (page 281). Les chiffres de l'exemple sont non-cohérents et dans la situation nette, la marge (75bps) disparait, la différence Euribor 3m/6m disparait et le financement de la transaction n'est pas indiqué. Cette différence entre Euribor 3m et 6m n'est pas anecdotique, comme tous ceux qui ont travaillé dans les marchés financiers le savent. Elle était, si on en croit un article de Risk Magazine (
http://www.risk.net/risk-magazine/feature/1564177/scaling-peaks-3s-6s-basis), particulièrement importante pour Dexia qui, toujours d'après cet article, a subit des pertes conséquentes sur cette différence et pendant très longtemps ne les a pas reconnues dans ses comptes. Mais les "
experts" ne mentionnent pas ce fait important. Le rapport mentionne la possibilité de swap interne avec un groupe d'expert de Dexia pour diminuer les swaps externes. Mais il indique que cette sophistication de gestion n'est pas compatible avec les choix du management et que le coût de l'
écurie (leur terme) serait trop important. Le coût salariale de ces experts serait certainement bien moins important que le coût du CEO (environ 1.5 millions par an) et que le coût des consultants extérieurs (80 millions). De plus il semble que de tels experts de renommée internationale étaient présents en interne chez Dexia (un pour le risque de crédit et un pour les taux d'intérêts); au moins un était systématiquement conférencier invité dans les conférences de finance quantitative (c'est facile à vérifier sur internet). De ce point de vue, Dexia semblait bien mieux équipé que les autres banques belges. Ceux qui suivent la finance quantitative de près étaient certainement au courant mais apparemment pas les "
experts" de la commission (ni le management). Dans le rapport il y a aussi une "
analyse" de la couverture des risques de taux par des swaptions. Cette proposition ne peut être considérée comme sérieuse à cause de l'asymétrie de la couverture, de son coût et du risque sur les résultats. Il y a une autre proposition de fermer les swaps existants pour en ouvrir de nouveaux au pair; en plus du fait que cela est très difficile à faire, cela ne change en rien la position de risque de marché et de liquidité de la banque, mais cela aussi semble échapper aux auteurs.
Pour en finir les petites imprécisions, il y a une comparaison de la situation des swaps de Dexia avec la situation de Metallgeselshaft AG souvent reprise dans les livres d'économie; le fait que ce cas bien connu était une entreprise industrielle (pas une institution financière) qui utilisait des futures (pas des swaps) semble aussi avoir échappé aux auteurs.
De la réalité économique différente de la réalité comptable et de celle des régulateurs
A de nombreux endroits le rapport parle de valorisation. En général il y a un manque de distinction entre la valeur économique (combien peut-on en obtenir maintenant), la valeur comptable et la valeur utilisée dans la régulation (deux chiffres différents mais tous les deux de simple chiffres écrit sur du papier sans nécessairement de référence à une valeur économique). Cette confusion a été entretenue pendant les auditions par les acteurs (Mr Mariani en particulier) et malheureusement le rapport n'aide pas à la clarification. La grande défense du management post-2008 est qu'une gestion différente de la leur aurait créé des pertes supplémentaires importantes. Ces pertes supplémentaires sont comptables et régulatrices, pas économiques. La valeur économique était déjà perdue. Cette confusion a amené le management à prendre de mauvaises décisions, en particulier dans la gestion du risque souverain. Le management ne voyait pas de raison de vendre le portefeuille souverain (au moins une partie) car il n'y avait pas de charge de risque de crédit d'après les régulateurs (Bale II: pondération 0%), pas de perte de liquidité (possibilité de repo) et une promesse de gain faible sur la durée (marge entre l'emprunt court terme et le prêt long terme). Il n'y avait pas de raison urgente de vendre. Cette vue simpliste du management ne résiste évidement pas à une analyse d'un opérateur expérimenté: le risque de crédit nul n'est qu'une invention des régulateurs pour protéger leurs commanditaires (les états), la liquidité est affectée marginalement dans tous les cas à cause des "haircut" et de manière importante en cas de baisse des prix, et les gains faibles potentiels sont compensés par de larges pertes possibles (demandez aux créditeurs de la Grèce). La vente d'une partie du portefeuille souverain, celui-là même qui a porté le coup de grâce à Dexia, avait été proposée par plusieurs experts extérieurs. Le coût des CDS sur Dexia était supérieur aux coûts des CDS sur les états de la zone euro (sauf la Grèce), cela veut dire que le marché dans son ensemble considérait qu'il en coutait plus a Dexia pour se financer que les gains qu'il obtenait par l'investissement. Le choix du management était équivalent à dire: "
Nous savons mieux que les autres". Une arrogance dont il est question par ailleurs. Cette erreur du management a été renforcée par une régulation inadéquate. Dans un cas extrême, des ventes qui diminuent le risque économique et ne change pas la valeur économique du portefeuille n'était pas possible car elle augmentaient le risque perçu par les chiffres des régulateurs. Un aveuglement des régulateurs et une myopie et une confusion du management actuel n'ont pas aidé Dexia.
Tant que j'en suis à parler du bilan, je voudrais ajouter quelques informations glanées çà et là. Bien qu'après la recapitalisation de septembre 2008 il y avait une insistance sur la diminution du bilan, celle-ci n'a pas été directe. Il y a une une augmentation du bilan en 2008 (bien que la crise ait débuté en juillet 2007). A l'arrivée du nouveau management, 91 milliards sont passés d'une ligne comptable à l'autre, rendant l'analyse plus difficile. Certains portefeuilles ont grossi entre 2008 et 2010 (le portefeuille souverain en particulier). Il y aurait du avoir une diminution naturelle avec les maturités; un calcul simpliste basé sur une maturité moyenne de 9 ans indiqué dans le rapport, donne une diminution naturelle de 10%. La diminution de la taille du bilan n'a pas été faite de manière très agressive.
Le rapport reprend des chiffres fournis par Dexia sur l'"
impact de la crise" sur les résultats de 2008. Une analyse critique de ces chiffres devrait se demander quel était l'impact de la crise avant la crise. Cela peut paraitre à première vue étrange mais la raison pour laquelle je fais cette demande est la suivante: la crise est l'éclatement d'une bulle; pour éclater la bulle a du grossir; les chiffres d'avant la crise reflètent ce grossissement et donc contiennent des profits imaginaires qui ont été perdu pendant la crise. En présentant les chiffres comme le management le fait et comme le rapport dans sa foulée, on a l'impression que les profits sont dûs a un bon management et les pertes à "pas de chance". C'est une image trompeuse de la réalité.
Des problèmes relationnels de Mr Mariani
Le rapport pointe les problèmes relationnel de Mr Mariani tant en interne qu'en externe. Ces problèmes ont culminé avec les démissions de deux membres belge expérimentés du management (Mrs De Walque et Decraene). Son style autoritaire et le recours systématique aux consultants externes Bain (dont coût 80 millions) ont crée des conflits dans le comité de direction, en particulier avec la direction de DBB. Ces conflits évitables ont eu une influence négative sur l'évolution de Dexia. Les erreurs de communication du management étaient en interne mais aussi en externe, en particulier avec Moody's. Le fait que Mr Mariani ait imposé son "
protégé", Mr Joly (un ex-inspecteur des finance comme lui), devenu de facto le numéro 2 de Dexia, alors que le numéro 2 officiel était Mr Decraene n'a pas aidé. Mr Mariani c'est fait apparemment beaucoup d'ennemis à l'intérieur comme à l'extérieur de Dexia depuis 2008.
Le salaire de Mr Mariani est assez élevé (environ 1.5 millions par an, supérieur à celui de son prédécesseur) et il faut y ajouter le coût des consultants extérieurs (Bain) de 80 millions. Le rapport qualifie le recourt aux consultants extérieurs de "contre productif". Mr Mariani est également parvenu a faire transformer une partie de son salaire variable de 200,000 euros en un salaire fixe (appelé prime de fonction). Cette prime de fonction lui a été versée même après de démantèlement de 2011, bien que sa fonction ait fondamentalement changée (de CEO d'un grande banque internationale à CEO d'une petite bad bank). Le salaire variable de Mr Mariani et du reste de la direction était lié au respect des engagements envers la commission européenne (CE). D'après le rapport de l'expert indépendant engagé pour analyser ce respect, plusieurs engagements n'ont pas été tenus (sur le RAROC, le financement à court terme, la cession des participations et la diminution du bilan). Dexia a contesté cette analyse par l'expert mais semble avoir payé néanmoins la partie variable non due du salaire de Mr Mariani; mais le rapport n'est pas très clair à ce propos.
Des dividendes et des administrateurs
Dexia a payé un "dividende en action bonus". Ce payement avait été qualifié de monnaie de singe par Mr Thiry dans son audition mais ce terme n'est malheureusement pas repris dans le rapport (il semble que je sois le seul a avoir rapporté ce mot; voir mon blog
http://citoyennaif.blogspot.com/2012/01/commission-dexia-audition-de-mr-thiry.html). Ce dividende a été décidé suite à la demande insistante des administrateurs d'Arco et du Holding Communal (HC). Ce payement ne changeait en rien ni la liquidité, ni la valeur de la société Dexia. Le rapport insiste sur le fait que d'après la loi sur les sociétés commerciales les administrateurs d'une société représentent cette même société et non pas les actionnaires qui les ont élus. La demande du payement du dividende en action a eu un coût administratif et a utilisé de l'énergie en interne chez Dexia pour organiser juridiquement ce "payement". Cette demande a donc eu un impact négatif sur Dexia. Les administrateurs n'ont pas rempli le rôle qui est légalement le leur. Le rapport s'arrête juste avant de suggérer une poursuite judiciaire contre ces administrateurs; je ne comprends pas pourquoi cette réticence quand une poursuite judiciaire est demandée pour un acteur extérieur (Moody's) qui n'avait pas d'obligation légale vis-à-vis de Dexia. De même les administrateurs représentants l'état français ont, d'après le rapport, faillit à leurs obligations en imposant de conserver l'importance de DCL au détriment du bien de la société Dexia SA.
A propos des actions bonus reçues par les actionnaires, le rapport indique qu'un avis de la commission des normes comptables (CNC) indique que les actions bonus ne sont pas un revenu. Ces actions ont néanmoins été comptabilisées comme tel par Arco et le HC. Pour ce qui est des prêts de DBB aux mêmes Arco et HC, j'indiquais dans mon premier blog sur le rapport qu'une analyse économique (et non réglementaire) faite par les régulateurs aurait dû exclure le "faux" capital ainsi obtenu des chiffres des régulateurs. Il semble que cette analyse a été faite par les régulateurs (ce qui est bien) mais que la conclusion a été que cela ne serait pris en compte qu'à partie de 2014 avec un étalement progressif de l'impact sur 5 ans! On croit rêver!
D'autres petites choses
Le désastre financier de Dexia n'est pas seulement dû à des risques financiers trop importants pris par le management mais aussi dû à des risques opérationnels et juridiques, en particulier dans les achats aux Pays-Bas (perte de 2.5 milliards). L'expertise juridique supposée de la direction précédente (Mr Miller n'est pas un banquier mais un avocat d'affaire) ne semble pas avoir servit beaucoup.
En parlant de la diminution des liquidités fournies par le marché, il est indiqué dans le rapport que les institutions financières internationales (en particulier la BRI) ont apporté beaucoup moins de fonds avec la crise. J'en parlais déjà dans un blog en avril 2008:
http://citoyennaif.blogspot.com/2008/04/crise-de-liquidite-le-double-jeu-des.html
Le rapport mentionne les "stress tests" organisés par l'EBA et qui n'avait un impact que sur le "trading book" (pas le banking book). J'en parlais dans mon blog
http://citoyennaif.blogspot.com/2011/04/vos-stress-tests-avec-ou-sans-stress.html. Le rapport indique que "
cet exercice était comme une tentative de contribuer à la restauration de la confiance". Autrement dit c'était un mensonge intentionnel et institutionnel par omission de l'EBA.
J'aurais aussi pu aussi parler d'autres points (mais je ne le ferai pas ;-))
- de DCL, de sa gestion défaillante des risques et des protections par les "français" pour éviter la diminution de l'importance du canard boiteux.
- des risques de liquidité et de crédit qui étaient connus par les experts de la banque (j'en parlais dans mon blog
http://citoyennaif.blogspot.com/2011/11/commission-dexia-interroger-les-bonnes.html) et communiqués au management.
- des mensonges d'un management rassurant, en interne et en externe, qui déclarait qu'il n'y avait pas de problème, que FSA n'était pas impliqué dans la crise des subprime et que le démantèlement n'était pas envisagé, …
Conclusion
En conclusion, je suis content que ce rapport existe, il officialise ce que beaucoup savaient déjà: les erreurs des comités de direction et des conseils d'administration passés et présents et en particulier l'amateurisme dans la gestion des risques. Le rapport met en évidence des manquements de certains acteurs à leurs obligations légales mais ne les nomme pas explicitement et ne suggère pas de poursuites à leur encontre. Malheureusement il est évident que les auteurs du rapport ne sont pas des experts sur le fonctionnement des banques et des marchés financiers, ils manquent de mettre en évidence des faits importants du dossier; de plus cela nuit à la crédibilité du rapport sur ces aspects.