lundi 16 janvier 2012

Commission Dexia: audition de Mr Thiry

Ce lundi après-midi, la commission Dexia auditionnait Mr B. Thiry (administrateur de Dexia et administrateur délégué d'Ethias). Je n'étais pas loin du parlement au moment de l'audition et j'ai décidé d'aller voir comment cela ce passait.

Au total j'ai trouvé cette audition assez "soft"; pas de question agressive et pas d'obligation de donner de vraies réponses (j'y reviens plus tard). Mr Thiry a expliqué son implication dans la structure Dexia et a résumé sa vision de la débâcle. Son audition était sans grande profondeur mais sans trop de langue de bois (ce n'est pas souvent qu'un administrateur qualifie la conséquence d'une décision du conseil d'administration de "monnaie de singe") et parfois avec des absences de réponse. Pour les questions des députés (il y a eu des question de cinq d'entres eux), j'ai cette même impression mitigée: ceux qui ont posé des questions avaient bien écouté l'auditionné et ont posé des questions pertinentes, mais je n'ai pas eu l'impression de beaucoup de profondeur. Les députés qui ont posé des questions sont: Joseph George, Meyrem Almaci, Georges Gilkinet, Christiane Vienne et Marie-Christine Marghem.

Les paragraphes suivant ne représentent pas un résumé de l'audition mais simplement quelques points qui ont attirés mon attention.

Mr Thiry a rappelé qu'Ethias avait opéré des réductions de valeurs sur ses actions Dexia en 2008, 2010, 2011, contrairement au Holding Communal et qu'Ethias SA n'avait plus aujourd'hui de risque Dexia dans ses portefeuilles. C'est la vérité mais pas toute la vérité (la même expression que j'utilisais à la suite d'un interview de Mr Mariani). Il est vrai qu'Ethias a enregistré des "réductions de valeur" sur ses actions Dexia, mais tard et pas en totalité. Les réviseurs n'étaient pas d'accord avec les comptes 2009 de Ethias (Dexia valorisé à 9,90 EUR). Les actions Dexia sont maintenant valorisées à 2,81 EUR dans les comptes de Ethias bien que le cours de bourse soit environ 0,30 EUR. Il est vrai que les actions Dexia ne sont plus dans le bilan de la compagnie d'assurance Ethias (Ethias SA) mais elle sont encore dans le groupe Ethias (Ethias Finance SA). C'est plus un artifice comptable qu'une vraie vente (ce n'est pas totalement économiquement identique car cela protège un peu les assurés d'Ethias SA des pertes, mais cela reste principalement un artifice car la participation est dans la structure qui est à 100% propriétaire de Ethias SA). Ce transfère comptable n'a été possible que grâce à un emprunt de EUR 280m par Ethias Finance SA; un emprunt qualifié de "succès" pas Mr Thiry. Il déclare aussi que l'emprunt a été fait "aux conditions de marché" et souscrit "en grande partie par le privé". Je n'ai pas les chiffres exacts mais le ministre des Finances, Steven Vanackere, a déclaré récemment: "Nous voulons souscrire pour la même somme que les deux Régions ensemble, et pour un maximum de 100 millions d'euros, aux obligations émises par Ethias". En chiffres, 280 moins 200 cela fait 80 et 80 est-il une "grande partie" de 280? Question suivante! Question: "En quoi l'emprunt est-il aux "conditions de marché" si presque personne n'en achète"? Réponse: "Une banque d'affaire nous a indiqué que c'était les conditions du marché." Question: "Cela ne ressemble-t-il pas à une aide d'état si l'état a souscrit à la majorité du montant?" Réponse: "La souscription c'est faite aux conditions du marché." Les questions sont posées plusieurs fois de différentes manières mais les réponses sont les mêmes et les députés n'insistent plus.

La question de la réduction plus rapide des portefeuilles Dexia (le portefeuille Financial Products provenant de FSA et le portefeuille résiduel de Dexia elle-même) a été posée à plusieurs reprises. La réponse est que la vente créait une perte supplémentaire (la perte passait de 15% à 25% du nominal du portefeuille). Encore une fois cette réponse est la vérité mais pas toute la vérité. Cela créait peut-être une perte comptable supplémentaire mais pas une perte économique supplémentaire. La valeur de ces obligations dans le bilan de Dexia n'était pas leur valeur de marché, c'est pourquoi une vente créait une perte; mais en terme de réalité économique cela ne changeait rien. L'argument est que cela mettait en cause la solvabilité de l'entreprise et ne lui permettait plus de résister à un choc économique supplémentaire. Cet argument est fallacieux; cela mettait en cause la solvabilité telle que décrite par les chiffres de solvabilité réglementaires mais diminuait le risque de l'entreprise et donc améliorait sa résistance véritable aux chocs économiques. Les chiffres réglementaires de solvabilité et les stress tests européens (voir mon court blog sur les stress tests) ne sont pas nécessairement en ligne avec la réalité économique.

Un autre moment intéressant est quand Mr Thiry évoque le payement d'un dividende "par action bonus" fait par Dexia. Sa description est que c'est "de la monnaie de singe pour des raisons comptables". Cela me semble assez clair comme description, l'information qui manque est de savoir combien cela a couté de créer cette "monnaie de singe". Cette monnaie de singe a permis au Holding Communal de créer un bénéfice comptable et de payer un dividende (voir mon analyse [1] du dernier rapport annuel du Holding Communal). Ce cash qui est sortit du Holding Communal est du cash qui n'est plus disponible pour rembourser les débiteurs du Holding en liquidation (donc les prêts consentis par Dexia au Holding). Cette monnaie de singe a donc couté à Dexia en travail légal et administratif et en non-remboursement d'une partie des prêts. Peut-être pas vraiment de la "monnaie de singe" en regardant cette décision de plus près, peut-être une "perte par des singes" (cette fois le terme est de moi!).

On a demandé à Mr Thiry son point de vue sur le modèle Dexia. Après une réponse générale il a indiqué que si quelqu'un avait évoqué avant 2008 la possibilité d'une crise de la dette souveraine en Europe au conseil d'administration de Dexia "on" l'aurait considéré comme un "doux dingue" (le terme est de lui). Et là il met le doigt sur le problème dans le conseil d'administration (et comité de direction) de Dexia: "on" n'avait pas les compétences et l'expérience pour évoquer et analyser des scénarios possibles. J'en parlais dans mon blog Econome avec la vérité!. D'après ce que j'entends, l'analyse de scénarios possibles n'a jamais été faite, le conseil d'administration et le comité de direction ont simplement pris un scénario rose et rêvé d'un future qui n'existera jamais. "Gouverner, c'est prévoir" disait Emile de Girardin au XIXème siècle. Il semble que les "gouvernants" du XXIeme siècle soient arrivés dans ce XXIème siècle sans passer pas la case XIX. Dans le même genre d'idée, Mr Thiry a indiqué que le rôle du conseil d'administration était en général passif et il demandait rarement une analyse en profondeur des dossiers qui leur étaient présentés. En cohérence avec mes voeux, je ne voterai pas pour la présence de Mr Thiry au conseil d'administration d'une banque (je sais je n'ai pas de droit de vote direct sur ce point mais indirectement oui, certaines personnes pour qui je peux voter choisirons ceux qui choisirons ces membres). C'est le rôle du conseil d'administration d'analyser en profondeur les propositions et c'est pour leur compétence à faire l'analyse eux-mêmes que ses membres sont désignés.

En résumé, une expérience intéressante. J'y retournerai si je ne me trouve pas trop loin du parlement lors d'une prochaine séance. Mais néanmoins un petit goût de trop peu!

[1] A noter que depuis quelque temps les informations sur le Holding Communal ne sont plus disponibles. Si vous allez sur le site du Holding, il y a juste une page avec "Holding Communal SA - en liquidation" mais les informations, en particulier les rapports annuels, ne sont plus disponibles. Non, vous n'êtes plus autorisés à savoir comment votre argent a été perdu.

Le badge d'entrée aux débats de la commission pour le public.