samedi 28 janvier 2012

Taxe sur les Transactions Financière: mes prédictions

Une Taxe sur les Transactions Financières est en discussion. Si je comprends bien la taxe, elle serait de 0.10% du prix sur les produits standards (actions, obligations, etc.) et de 0.01% du notionnel sur les produits dérivés. Cette taxe serait d'application sur toutes les transactions financières faite dans une certaine zone géographique. Pour moi il y beaucoup d'inconnues dans une telle proposition: quel est la définition d'une transaction financière, ou d'un produit "dérivé", comment le prix est déterminé, etc.; mais je suppose que si une règle est mise en place elle précisera ces "détails". Si la transaction est entre deux entités de la zone dans laquelle la taxe est d'application, la taxe est due (je ne sais pas si elle est payée par chacune des entités). Si la transaction est faite entre une entité de la zone et une autre hors zone, il n'est pas claire si la taxe est due ni comment elle est payée (par définition l'entité hors zone n'est pas sujette à la régulation de la zone en question).

Plusieurs avantages de cette taxe sont mis en évidence: un revenus important pour les états, une diminution du nombre de transactions financières et une diminution de la "spéculation".

La première remarque est que ce type de taxe est assez différent d'une taxe comme la TVA dans le sens que cette taxe s'appliquerait à toutes les transactions et pas seulement celle avec le consommateur final. Si un particulier achète une obligation à une banque de détail qui l'a achetée à une banque d'investissement qui l'a achetée à un émetteur, la taxe est due trois fois. Quand on achète un bien non-financier à un détaillant qui l'a acheté à un grossiste qui l'a acheté à un intermédiaire qui l'a acheté au fabricant, la TVA n'est due qu'une seule fois, sur la transaction finale.

Le montant de la taxe est-il élevé? Un argument des défenseurs de la taxe est que le montant est extrêmement bas et presque invisible et indolore. Cet argument est erroné pour les transaction sur le marché interbancaire. Si on prend les produits les plus liquides (ceux où il y a le plus d'échanges, comme une transaction de change EUR/USD ou un swap de taux d'intérêts de un an), le 0.01% (ou 1 point de base) est plus ou moins l'écart achat/vente sur ces produits; ce qui veut dire que le bénéfice sur un achat et une vente d'un "grossiste" (market-maker) est de 1 point de base. La taxe est donc le double du bénéfice, c'est très différent de "invisible et indolore"! Prenons l'exemple d'une transaction de change. Des clients d'une petite banque européenne achètent des biens aux Etats-Unis et transfèrent des dollars au vendeur. La banque locale appelle une grande banque pour effectuer une transaction de change de couverture (par blocs de un million, qui est l'unité pour les transactions de change). La grande banque passe par un "broker" (intermédiaires) pour trouver une autre grande banque qui a un intérêt opposé (qui veut acheter des EUR et vendre des USD dans ce cas) provenant par un cycle similaires d'autres particuliers. Pour une transaction standard d'un client (particulier ou entreprise) à un autre client, il y a donc facilement cinq transactions; les trois au milieu se partageant le "un point de base". Pour répondre à la question du début du paragraphe: oui une taxe de 0.01% du notionnel sur les produits dérivés est une taxe élevée.

Pour les produits de taux d'intérêts les plus liquides, l'écart achat/vente est environ un point de base, non pas du notionnel, mais de l'intérêt annuel. Donc pour un swap de un mois, le chiffre de 0.01% du notionnel est douze fois le profit d'une double transaction achat/vente, c'est-à-dire que la taxe est 24 fois le profit!

La plupart des transactions financières ont pour but, non pas la spéculation, mais la couverture de risques financiers, une espèce d'assurance. Si on veut faire rentrer de l'argent dans les caisses, on pourrait aussi mettre une taxe sur le nominal des assurances. Pour une assurance sur une maison d'une valeur de 200,000 EUR, la taxe serait donc de 20 EUR; une taxe sur chaque assurance: incendie, dégâts des eaux, juridique, vol, … Si vous avez une assurance RC avec une limite de 5 millions, une taxe de 500 EUR, une assurance voyage, une autre taxe,… On arrive rapidement à des milliers d'EUR de taxe. Les compagnies d'assurance se tournant régulièrement vers des compagnies de réassurance, il faudrait doubler le montant. Un peu comme une entreprise qui devrait payer un TTF sur ses couvertures de change, de taux d'intérêts, d'inflation sur la pension, etc. Cela diminuera-t-il la spéculation ou réduira-t-il l'utilisation des "assurances"?

Revenons à un but de cette taxe: un revenu pour les états. Des exemples ci-dessus il est clair que la plupart des transactions décrites deviennent déficitaires avec la taxe; elles disparaissent. Avec les exemples ci-dessus, le résidu des transactions de change est 40% des montants initiaux, les swaps de taux d'intérêts à court terme disparaissent complètement. Ces derniers forment la plus grande partie des produits dérivés de taux (2/3 des transactions sont en dessous de 2 ans sur Clearnet), il restera peut-être 20% de ces montants sur les dérivés de taux.

Si la taxe n'est pas mondiale (et il est claire qu'elle ne le sera pas), les acteurs principaux déplaceront leur salle des marchés là où la taxe n'existe pas. Les transaction financières étant des services "immatériels", rien ne s'oppose qu'ils se fassent n'importe où sur la terre ou même sur la Lune si nécessaire. Si la taxe dépend du pays d'origine de l'opérateur plutôt que de la localisation, une nouvelle firme avec la bonne origine sera crée. Les montants rapportés par la BRI et d'autres organisations concernent principalement des transactions interbancaires. La grande partie de ces transactions ne rapportera donc rien sous cette taxe.

Egalement, attacher une taxe sur le notionnel d'un produit dérivé me semble absurde. Le notionnel n'est qu'un montant de référence pour le calcul des payements du produits; il n'a à priori pas vraiment de réalité économique, c'est juste un chiffre sur un contrat. Je peux prédire que si une telle taxe est un jour votée, un changement qui aura lieu rapidement, avant même le déplacement (physique) de certaines salles des marchés là où la taxe n'est pas d'application, est le changement de ces montants de référence. Un swap entre un taux fixe et un taux variable Euribor sur 10 millions d'EUR deviendra un swap entre un taux fixe (10 fois plus élevé) et 10 fois Euribor sur 1 million d'EUR et tant qu'on y est un swap entre un taux fixe et 10 millions de fois Euribor sur 1 EUR! On peut jouer le même jeu sur n'importe quel produit dérivé, il suffit de changer la description avec des divisions et des multiplications au bons endroits. Une autre technique que l'on verra certainement est de remplacer chaque couverture individuelle par une couverture globale, au lieu de couvrir le risque de taux d'intérêt, le taux de change, l'inflation sur les pensions, etc. séparément, on demandera une couverture globale avec un seul contrat. Cela réduira la standardisation des contrats et poussera à plus de gré à gré et moins de transparence. D'un autre coté, il faudra être très prudent dans la définition de "produit dérivé"; il est très facile de transformer un achat d'obligation (taxe de 0.10%) en un produit dérivé (taxe de 0.01%); par exemple l'achat d'une obligation à 95% de la valeur faciale peut être remplacé par une transaction d'option "call" avec un prix d'exercice de 90% et une prime de 5%.

Predictions!

Mes prédictions si la taxe est appliquée mondialement (et elle ne le sera pas):

Les montants notionnels des transactions diminueront d'au moins 50 à 75% (les chiffres espérés de rendement ne seront jamais atteints). La taxe collectée sera reportée sur les utilisateurs finaux (particulier et entreprises).

Mes prédictions si la taxe est appliquée seulement dans un nombre limité de pays:

Il y aura une disparition presque complète des transactions interbancaires là où la taxe est d'application et une diminution des autres transactions financières (comme cela c'est passé en Suède quand elle a introduit ce genre de taxe et où les montants collectés étaient 3% des montants espérés). Seules les transactions des particuliers et des petites entreprises resterons et c'est ces derniers qui payerons la taxe. Un des buts de la taxe: un revenu important pour les états ne sera jamais réalisé. L'industrie financière de ces pays sera fortement réduite, avec des pertes d'emplois et d'impôts. Si le but est de diminuer le nombre de transactions, ce but sera atteint, au moins là où la taxe est d'application; mais je ne vois pas l'intérêt de ce but. Pour ce qui est de la spéculation, elle pourra toujours ce faire, très légèrement diminuée mais ailleurs.

Au total je prédis un échec de ce genre de taxe et des dommages importants pour les pays qui l'introduiront en premier lieu. J'espère que la Belgique ne sera pas parmi ceux-ci.

Alternative miracle?


Est-ce que je propose une alternative miracle? Non, les remèdes miracles n'existent pas! Ceux qui proclament qu'un remède miracle comme une simple taxe sur les transactions financières pourrait résoudre tous les problèmes sont soit ignorants soit démagogues.

De même le cris de "faire payer la crise aux banquiers" n'est pas une solution; la crise est là et même si on tue tous les banquiers elle sera toujours là. Ce qu'on peut essayer de faire, c'est d'éviter les crises bancaires futures. Ce qui n'est bien sur pas possible non plus (sauf en supprimant les banques et l'argent et en retournant au troc), mais au moins on peut essayer de faire mieux.

J'ai promis que je n'avais pas de remède miracle et je tiendrai mes promesse: je n'en proposerai pas. Tout au plus je donne quelques pistes qui me semblent possibles pour améliorer un peu les choses. Cela passe sans doute par un changement de mentalité, un remplacement d'une partie des dirigeants "manager" par des gens techniquement plus compétents, des conseils d'administration plus indépendants et plus critiques (en Belgique moins politiques, en incluant des gens moins issus du "sérail"). J'ai déjà mentionné deux de ces pistes que j'aimerais voir poursuivies: des régulateurs différents et plus de transparence. Les régulateurs devraient avoir plus d'autonomie et être moins proches de règles figées mais faire preuve de plus de transparence. Ils pourraient devenir des espèces d'agence de notation, donnant un avis sur le bilan et la gestion des risques dans les banques! J'espère voir plus de transparence en général; le contenu des bilans et les salaires et mandats des dirigeants devraient être une information disponible à tous les actionnaires.