Je dois dire que la lecture de ce document m'a surpris. Je ne pensais pas y trouver autant d'indications claires d'un dysfonctionnement profond. Quand j'utilise les termes "dysfonctionnement" ou "erreur", je ne parle pas en termes juridiques ou comptables mais en terme de gestion financière d'une structure disposant de connaissances financières élémentaires; je laisse les appréciations juridiques aux tribunaux. Tous les chiffres concernant le holding que je mentionne proviennent du rapport annuel; je n'ai en rien réécrit l'histoire a posteriori. Les termes en italique sont repris du rapport (et donc les termes du CA).
Le holding communal doit être considéré comme une structure financière, un peu comme un fond commun de placement. La quasi totalité de ses avoirs sont des avoirs financiers, en majorité cotés sur des marchés ouverts. Il n'y a pas d'activité industrielle ou de service; il n'y a pas de valeur de la marque, de savoir faire particulier ou de clients fidèles. L'évaluation de la valeur du holding devrait être simple, c'est la somme des valeurs de marché des composants. La participation principale est Dexia (Dexia SA, et pas Dexia Bank Belgium). La valeur de marché de cette participation était de EUR 669 millions (m). Dans les comptes elle est rapportée à EUR 2.113 m. C'est-à-dire une surévaluation de EUR 1.444m. Les capitaux propres étant de EUR 1.221m, la valeur intrinsèque du fond était négative. N'importe quel hedge fund dans cette situation aurait été liquidé avant la fin de l'année. La structure financière du Holding Communal, gérée par les politiques, semble bien moins régulée que les hedge funds que certains politiques accusent de manque de régulation!
La valeur utilisée dans les comptes est une valeur historique ou valeur d'acquisition. C'est-à-dire que pour estimé la valeur d'une participation détenue à long terme du holding le conseil d'administration (CA) préfère regarder dans le passé (combien cela a-t-il couté il y a quelques années) plutôt que l'estimation du future (valeur de marché). La justification de cette utilisation est en référence à la valeur comptable de l'action Dexia hors réserve AFS. Les réserves AFS (Available For Sale) sont les moins-values latentes de Dexia non reconnues dans ses comptes comme des pertes. En clair le holding communal justifie de ne pas rapporter ses pertes par le fait que sa principale participation ne le fait pas! Quand on sait que Dexia lui-même avait déjà utilisé une "reclassification" de 98 milliards d'actifs pour ne pas devoir indiquer la réserve AFS sur ces actifs, on voit le niveau d'absence de transparence. Une économie de vérité supplémentaire, comme d'autres que je décrivais dans une blog précédent.
Malgré cette économie de vérité, le holding a du rapporter une perte: un résultat courant de EUR -17.5 m. Néanmoins en utilisant des "bénéfices reportés", le holding a payé un dividende de EUR 17.5m! Oui, une structure financière qui a une valeur négative de EUR 200m paye un dividende de EUR 17.5m. L'utilisation du lissage des résultats (par l'utilisation de bénéfices reportés) me rappelle un peu Fannie Mae et Freddie Mac, les deux géants des prêts hypothécaires américains en faillite qui ont été condamnés pour fraude en rapport à leur habitude de lisser leurs résultats (voir par example cet article).
A part regarder sa participation dans Dexia, que fait le holding? Il gère d'autres participations. Il a, entre autres, une participation dans Belgian Airport pour EUR 35.000, et dans trois fonds immobiliers pour des valeurs entre 3 et 7m. Chacune de ces participation est décrite par un quart de page dans le rapport. En 2009, le holding a aussi investit EUR 50m dans un hedge fund dénommé Cheyenne. Il n'y a pas une seule ligne de description de cela dans le rapport! Ce fond, acheté avec des fonds empruntés et donc avec effet de levier, est repris à sa valeur d'achat. Pas d'indication de la politique d'investissement de ce fond ni de sa valeur actuelle. Une économie de vérité supplémentaire.
Pour faire de tels investissements, le holding doit certainement avoir des experts en investissement et des techniques de gestions professionnelles. Pour les techniques , il y a des procédures de suivit des risques et une gestion ALM mais on en saura pas beaucoup plus. Pour l'expertise, on sait qu'il prennent le temps de l'analyse; en 2010 le CA a passé une journée entière à une revue des participations. Une journée entière pour étudier plus de 2 milliards d'investissement! Et quelle a été le cout de cette expertise? Très peu, seulement EUR 906.000 pour les administrateurs et gérants (en plus des cinq employés plein temps). Et pour presque un million vous avez huit réunions avec un présence moyenne de 70%! Et où ont lieu ces huit réunions? Dans le nouveau siège social acheté et rénové en 2008, c'est-à-dire pendant la crise, pour un montant de EUR 5,7m. Un siège de plus de cinq millions pour cinq employés et huit réunions par an!
Le holding a aussi des activités de trading pour compte propre, c'est-à-dire des activité purement spéculatives. Ces activités de trading pour compte propres sont les activités que certains politique veulent interdire aux banques de dépôts. Mais je suppose qu'ils estiment qu'avec huit réunions annuelles le CA a une meilleure compréhension du marché que les traders experts des banques qui y travaillent à temps plein avec l'aide d'une armée d'experts. L'expertise du CA est telle qu'ils ont vendu des options puts sur 17.5 m d'actions Dexia à un strike moyen de 5.72 EUR. Cela veut dire que le holding sera obligé d'acheter 17.5m d'action à 5.72 EUR pièce même si la valeur de l'action est de quelques cents. Cela représente un pay-off d'environ EUR 90m. Et ces options comment sont-elle prise en compte dans les résultats? Les produits dérivés ne sont pas valorisés à leur valeur de marché mais les primes reçues sont prises en résultat prorata temporis. C'était la même technique comptable utilisée par les fameux Fannie Mae et Freddie Mac. En 2002, lors d'un voyage à Washington, une institution financière m'avait demandé de visiter ces deux institutions et de faire un rapport pour des investissements potentiels. Mon rapport indiquait le manque de transparence, en particulier pour les dérivés, et recommandait de ne pas investir à cause de cette économie de vérité (même si je n'avais pas utilisé ce terme à l'époque). Mes recommandations n'avaient pas été suivies, mais c'est une autre histoire.
On peut aussi lire dans le rapport quelques phrase qui a posteriori peuvent faire sourire, comme le CA estime que la participation dans Dexia peut être comptabilisée à sa valeur historique ou sur base des différents scénario étudiés, le CA estime que le holding disposera des liquidités nécessaires. Le total du bilan s'élève à EUR 2.954.064.592,37: j'aime cette précision, incluant les centimes; c'est ce qu'on appelle être précisément erroné, par opposition à approximativement exact.
Comme on peut le voir la liquidation du Holding Communal n'est pas une surprise; la valeur intrinsèque de la structure est négative depuis longtemps. Le communiqué de presse du président Vermeiren de fin octobre qui affirme qu'il n'y a "ni erreur ni faute" n'y change rien. Du point de vue de la gestion financière, il est clair qu'il y a eu de nombreuses erreurs de gestions et fautes sur l'évaluation de la situation. La seule preuve de l'absence d'erreur que le président a trouvée est une lettre juridique de Dexia de 2008 sur l'augmentation de capital de Dexia. Si cette lettre est son argument principal de défense, cela ressemble plus à un aveu qu'autre chose.
Encore une fois, je recommande comme "sentence" pour les administrateurs la sentence que je recommandais précédemment (ce blog-ci et ce blog-là): interdiction de conseil d'administration/comité de direction de n'importe quelle entreprise liée à la finance et un "examen d'entrée" pour tout autre poste a responsabilité! En plus on pourrait ajouter l'interdiction d'un mandat d'échevin lié aux matières financières, ce serait justifié par rapport aux communes qui ont perdus quelques milliards.
Les comptes annuels sont comme les bikini : ce qu'ils montrent est intéressant, mais l'essentiel est ce qu'ils cachent.
Burton Malkiel - expert boursier - 1932
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