mercredi 16 mai 2012

Banque Centrale Européenne et Fond Monétaire International: quelques choix surprenants!

Depuis la crise qui a commencé en 2007, la BCE et le FMI sont apparus dans la presse plus que par le passé. J'ai relevé quelques choix surprenants ou dont les implications ne sont pas toujours mises en évidence. Je me permet aussi quelques suggestions.

Long Terme Refinancing Operation (LTRO): drôle de formule et option.


Il y a un appel par beaucoup à des produits financiers plus simples. Je suis en faveur de cet appel (mais peut-être pas avec le même définition de "simple" que tout le monde). Il semble que la BCE n'a pas entendu l'appel. Elle a choisi une formule pour le moins surprenante pour son injection de liquidité LTRO (j'en parlais déjà dans mon blog sur ces prêts). La formule est étrange à la fois pour la manière dont les intérêts sont calculés et par les options inclues dans les prêts.

Les prêts ont une maturité maximale de trois ans. Le taux est variable et révisé toutes les semaines. Le taux hebdomadaire est le taux des Main Refinancing Operations (MRO). Les MRO sont également hebdomadaires, donc jusque là rien de surprenant. Mais c'est ici que les choses surprenantes commencent. Le taux hebdomadaire n'est pas payé de manière hebdomadaire mais à la fin du prêt. Normalement l'intérêt est payé à la fin de la période de référence. Les payer plus tard est un avantage. Mais calculer la valeur de cet avantage n'est pas facile. Dans le jargon de la finance quantitative, l'ajustement à faire est appelé un "timing adjustment" ou "convexity adjustment". Cela fera du travail supplémentaire pour les analystes quantitatifs; d'un autre coté je doute que les banques prendront en compte tous ces détails pour la valorisation dans leur bilan et pour la gestion ALM.

Ensuite il y a l'option inclue dans les prêts. Les banques ont le droit après un an et chaque semaine de rembourser anticipativement le prêt. Il y a donc une option composée avec 104 possibilités (2x52 semaines) de payement (dans le jargon de la finance quantitative ce type d'option est appelée option Bermudéenne). Cette option est similaire au droit de remboursement anticipé des prêts hypothécaires, si ce n'est qu'il n'y a pas de pénalité comme les "indemnités de réemploi" des prêts hypothécaires. Si les intérêts étaient payés toutes les semaines, cette option serait uniquement une option de liquidité. Avec la formule étrange des intérêts, cela devient aussi une option de taux. La pénalité pour le payement anticipé est que la banque doit payer les intérêts accrus immédiatement; la date de payement des intérêts de la première semaine est inconnue jusqu'à la maturité du prêt, qui peut être remboursé n'importe quelle semaine entre un an et trois ans. Cela fera un peu plus de travail pour les analystes quantitatifs; mais comme pour le premier ajustement, je doute que les banques prendront en compte ces détails. La valorisation des options des crédit hypothécaires est faite de manière assez simpliste (pour utiliser un euphémisme) dans la plupart des banques, il serait surprenant qu'un effort particulier soit fait pour ces nouvelles options.

Comme suggestion assez évidente, je proposerais à la BCE de demander un payement hebdomadaire des intérêts. Cela serait plus naturel et honnête par rapport aux MRO. Cela éliminerait les formules compliquées et les options qui en découlent.

LTRO: dette bancaire subordonnée.


La liquidité offerte par la BCE est souvent présentée comme peu onéreuse et inconditionnelle. J'ai déjà parlé de la question du peu onéreux dans un autre blog. Le coût est clairement assez élevé, financièrement et en terme de stigmates. Une autres parties de l'impact de ces prêts et la subordination des dettes bancaires. La BCE demande du collatéral pour garantir les prêts. Le collatéral doit être des obligations enregistrées et bénéficiant d'une notation (en général de la part des agences de notations). La BCE demande aussi une valeur du collatéral supérieur au montant du prêt ("haircut"). Le collatéral est conservé par la BCE en cas de non remboursement du prêt. La conséquence pour les autres obligations des banques est qu'elles sont subordonnées aux demandes de la BCE.  Ces autres obligations comprennent les obligations vis-à-vis des autres banques, des fonds, des investisseurs divers et … des particuliers. En cas de défaut d'une banque qui a des prêts LTRO auprès de la BCE, le collatéral est saisi par la BCE et la BCE est remboursée à 100% (pour autant que la BCE ait estimé la valeur de ce collatéral correctement). Les autres débiteurs viennent après pour le payement des dettes. Prenons un exemple simple: une banque avec un bilan de 100 milliards qui a un capital de 20 milliards, emprunté 20 milliards en LTRO, et les 60 autres dans le marché (y compris les dépôts de ses clients). Supposons que la banque fait faillite avec une valeur d'avoirs de 50 milliards. Si il n'y a pas de "subordination" par la BCE chaque créditeur reçoit 5/8 (50 milliards/80 milliards) de son du. Donc si vous avez 8000 EUR sur votre compte d'épargne vous en récupérez 5000 EUR (sans prendre en compte la garantie d'état). Si on prend en compte la subordination de la BCE, la BCE reçoit 100% et les autre 50% (30 milliards/60 milliards). Donc de vos 8000 EUR, vous en récupérez seulement 4000 EUR, la différence est "donnée" à la BCE. Cette subordination est évidemment payée par les banques, les taux d'intérêts sur les dettes non-BCE sont supérieurs à ce qu'ils seraient sans le privilège de la BCE. Les LTRO deviennent ainsi une drogue, la dégradation du reste de leur bilan qui en découle crée une accoutumance.

Je n'ai pas de panacée pour le manque de liquidité dans le marché. Le manque de liquidité est un manque de confiance, et la confiance cela se mérite sur le long terme, pas en quelques minutes sur décision. Pour le manque de liquidité, une suggestion pour une petite amélioration est donnée plus bas. Pour le manque de confiance, avoir une régulation plus transparente et basée sur des principes plutôt que des règles administratives serait une de mes suggestion, que j'ai déjà proposée ici et .

Défaut de la Grèce: abus de bien sociaux?


Juste avant de faire défaut, la Grèce a fait un cadeau de plusieurs milliards à la BCE. La BCE était en possession d'obligations de la Grèce achetées avec des taux entre 5 et 10% Si les taux étaient aussi élevés (par rapport à des obligations avec moins de risque comme l'Allemagne), c'est que, justement, il y avait un risque: un risque de défaut. Le risque de défaut s'est matérialisé et la Grèce était proche du défaut. Elle a changé sa loi pour qu'un accord avec une majorité des débiteurs soit obligatoire pour tous les débiteurs. Tous, sauf la BCE! En effet la BCE a obtenu d'échanger ses obligations pour des obligations spéciales qu'elle est la seule à posséder. La loi Grecque normale ne s'applique pas à la BCE. Je ne sais pas comment la BCE a obtenu cet avantage. Sans doute avec des pressions politiques, en menaçant de ne pas supporter le sauvetage de la Grèce dans le cas contraire. Dans d'autres circonstances on pourrait appeler cela un abus de biens sociaux: utiliser sont autorité pour obtenir de la société des avantages immérités. Plus de chiffres à propos de ces avantages immérités de la BCE peuvent être obtenus sur le blog Zero Hedge (en anglais). En général c'est un blog que je recommande pour une vue non-officielle de certains aspects de la crise et de la finance par des gens qui semblent bien informés et qui savent en général de quoi ils parlent, ce qui est assez rare.

La suggestion immédiate est, si la BCE veut être un acteur respecté du système financier, de se comporter comme un membre normal de cette communauté et de pas s'octroyer de privilèges indus. Elle devrait rendre les obligations privilégiées qu'elle a obtenu au détriment des autres créditeurs de la Grèce et accepter le défaut comme les autres.

Retrait de liquidité inconditionnelle.


La BCE a injecter des liquidités conditionnelles dans le marché (voir plus haut pour le "conditionnelles"). D'autres banques centrales ont fait des actions similaires. Cette injection de liquidité était nécessaire à cause de la méfiance généralisée et du manque de liquidité dans le marché. L'origine de ces problèmes ne provient pas d'une action particulière mais de quelque chose de diffus, d'un "sentiment" du marché. On peut néanmoins trouver quelques actions qui ont contribué à ce sentiment et les banques centrales n'y sont pas étrangères. J'en parlais dans un blog en 2008 et la situation n'a pas changé depuis.

La Banque des Règlements Internationaux (BRI en français, BIS en anglais) est la "banque des banques centrales". C'est une institution supranationale propriété des banques centrales et dont les membres du comité de direction sont les gouverneurs des banques centrales (http://www.bis.org/about/board.htm). Au delà du bien connu comité de Bâle et des réunions régulières entres gouverneurs, l'institution abrite un département bancaire qui est une contrepartie pour les transactions financières de ces mêmes banques centrales (voir http://www.bis.org/about/index.htm). Cette institution peut être considéré comme le bras financier caché des banques centrales. En lisant la composition du bilan de cette institution, on remarque qu'elle a enlevé pas mal de liquidité du marché dés le début de la crise. En avril 2007, elle prêtait aux banques commerciales par des prêts sans collatéral 91 milliards de SDR (1) (équivalent à 147 milliards de USD). Si on regarde le bilan aujourd'hui, on voit que le chiffre est descendu à 19 milliards de SDR, une diminution de 79%. Si on regarde la ligne particulière des prêts à plus de 3 mois, le chiffre était de 38 milliards de SDR, il est aujourd'hui de … 0 (en fait la ligne a même disparu du bilan). Même les "repo" (repurchase agreement) qui fonctionnent sur le même principe de collatéral que les prêts de la BCE ont diminués de 61 milliards de SDR à 40 milliards de SDR. Cette disparition de liquidité fournie par les institutions supranationales comme la BRI était reprise dans le rapport de la commission Dexia comme un des (nombreux) facteurs qui ont causé la fragilisation de Dexia. Les parties du bilan de la BRI qui ont augmenté sont les dépôts d'or (de 15 à 38 milliards) et les obligations (principalement gouvernementales) (de 95 à 131 milliards) . Pendant que la BCE fournit des liquidités aux banques commerciales en échange d'une subordination du reste de leur bilan en espérant qu'elles prêtent au gouvernement, la BRI retire ses prêts non collateralisés avec les banques commerciales et prête plus aux gouvernements. Comprendra qui pourra. En attendant, cela fragilise certainement le bilan des banques qui n'avaient pas besoin de cela.

Ma suggestion est relativement simple, reprendre les prêts directs de la BRI aux banques commerciales. Je ne suggère pas d'être téméraire, une bonne diversification et un analyse du prix des prêts reste importantes, mais cela ne doit pas créer un début de panique (2).

Défaut de la Grèce: PIB, step-up, et absence d'inflation.


Le FMI a fait partie des négociateurs lors du défaut ordonné de la Grèce. Lors du défaut, les obligations Grecques existantes ont été remplacée pour une partie du notionnel par des obligations de la Grèce à long terme avec diverses échéances, pour une autre partie par des obligations du fond européen de stabilité et enfin par une participation au PIB de la Grèce. Pour le remplacement par des obligations de la Grèce, cela semble naturel. Mais pourquoi les obligations sont-elles de type "step-up" (coupon en augmentation)? Un résultat similaire aurait pu être obtenu avec avec des obligations plus simples (coupon constant) en ajustant le notionnel à chaque échéance. Ces obligations step-up ne sont pas le standard. Je pensais que certains prônaient une standardisation des produits financiers, mais j'ai dû me tromper. Si un jour la Grèce redevient un débiteur crédible (on peut rêver), ces obligations bizarre resteront des instruments stigmatisés.

On comprend que les débiteurs préfèrent des obligations du fond de stabilité européen, qui sont bien plus sûres que les obligations grecques. Pourquoi a-t-on imaginé des détails si compliqués dans le calcul des montants? Une partie du montant représente des intérêts courus (un concept comptable). La Grèce a fait défaut, les créditeur veulent revoir une partie de leur investissement, c'est normal. Mais une fois que le montant a été négocié, allons à l'essentiel sans comptes d'apothicaires pour diviser ce montant en sous-catégories comptables.

Une toute petite partie des obligations de remplacement (pour une valeur minuscule) sont liées au PIB de la Grèce. C'est sans doute un peu compliqué pour la valorisation et ce n'est pas une obligation financière standard mais ici on en comprend l'intérêt pour la Grèce: elle aura plus de moyens de rembourser si son PIB est plus élevé. Ce petit geste n'est pas stupide et je le garde.

Parmi les obligations en défaut, il y avait des obligations long terme liées à l'inflation (européenne). De mon point de vue ces obligations liées à l'inflation sont une très bonne chose. Pour les investisseur qui ont une couverture contre l'inflation (pour autant que l'émetteur rembourse ses obligations) et pour les gouvernement qui payent un montant notionnel plus élevé après une période d'inflation où les revenus des taxes devraient avoir augmenté. Mais ici les obligations liées à l'inflation ont été remplacée par des obligations à taux fixes. Non seulement les investisseurs ont eu une perte mais il ont maintenant un investissement qui ne correspond plus à leur choix initial.

Mes suggestions serraient de faire plus simple: 1 ou 2 obligations du fond de stabilité, sans complications comptables, des obligations avec coupons constants pour les obligations de la Grèce et de remplacer les obligations liées à l'inflation par d'autres obligations liées à l'inflation.

(1) SDR: Special Drawing Right, panier de devises utilisée comme unité de compte par plusieurs institutions supranationales.
(2) Cela me rappelle une anecdote. Au début de la crise (fin 2007) je parlais avec un économiste de la BRI qui me disait en parlant de la diminution des liquidités interbancaires (à l'époque il s'agissait d'une diminution et pas d'une disparition) que "les banques devraient être folles pour arrêter de se prêter l'une l'autre et détruire un système efficace". Il semble qu'il n'était pas au courant que ses collègues étaient partie prenante à cette "folie".